Le journal du Col Drapier

Le Col Drapier nous ouvre ses archives personnelles et nous présente un récit de nos moments en Algérie. Nous faisions une guerre que les gouvernants de l'époque nous avaient ordonnée. Nous nous sommes bien battus, comme nos adversaires l'ont fait eux aussi.

Lundi 26 décembre 1960

08 h 00
Le départ. À une séparation programmée de onze mois, on ne s’habitue jamais ! 
Me voici à nouveau à Méchéria, dans la même Fillod, la même chambre pour un deuxième séjour. Heureusement, je connais pratiquement tout le monde, ce qui est réconfortant pour le moral. Nous sommes tous embarqués sur le même bateau, pour le meilleur et pour le pire. 


Vendredi 30 décembre 1960

Mon premier vol sur T-28 Fennec, notre nouvel avion d’armes. Cet avion me plaît. Ce n’est pas une nouveauté, j’aime tous les avions que je pilote. 

T 28 a
T-28 "Fennec"

Dimanche 1er janvier 1961

Notre secteur d’opérations est identique à celui de mon premier séjour, à une variante près, la présence permanente de deux détachements, l’un à Geryville, l’autre à Aflou. L’implantation rebelle se situe essentiellement sur la chaîne montagneuse des Ksour et vise à faciliter la migration Algérie-Maroc et vice-versa des katibas fellagas. Pour la 13ème division, les difficultés proviennent de l’ALN installée au Maroc, tout au long de la frontière algéro-marocaine, de Figuig au Sud, au Djebel El Abed au Nord. Des bataillons bien armés tentent et réussissent quelquefois à franchir le barrage électrifié. Des éléments plus légers sont destinés à poser des mines sur les pistes entre la frontière et le barrage ; mines, qui sont à l’origine des destructions fréquentes de nos véhicules de transport militaire. Le Gal Ginester en a assez. Il me demande d’intensifier nos missions aériennes à l’encontre de ces forces partout où elles se trouvent. 


Jeudi 19 janvier 1961

Les reconnaissances sur la frontière et au-delà commencent à porter leurs fruits. Rares sont les missions sans utilisation de notre armement. Sous la pression, les fells de la zone 8 réagissent et donnent du travail supplémentaire à nos mécaniciens obligés de mettre des pansements sur les impacts de balles criblant nos avions. 


Mardi 16 mai 1961

Sur renseignement du 2ème bureau de l’EM, un bataillon de l’ALN au Maroc s’apprêterait à forcer le barrage dans la zone Ouest du Djebel Beni-Smir. Il se trouverait situé dans un carré de 10 km sur 10. Après étude de la carte, un site avec un point d’eau semble convenir à un important bivouac.

Mercredi 17 mai 1961

Décollage de nuit en patrouille à quatre avions. Après une approche à très basse altitude, face au vent je découvre le cantonnement. Au fond d’un oued encaissé, des feux de camp regroupent les fells. Notre attaque est immédiate. Tout d’abord à la roquette puis aux armes de bord.

Lundi 26 juin 1961

À Telergma, C…, M…, J… et moi-même remportons la coupe de tir air-sol de la 5ème Région aérienne. Une lettre de félicitations collectives nous est adressée, ainsi qu’aux mécaniciens qui ont la responsabilité du réglage des armes. 

Vendredi 30 juin 1961

Le Gatac II d’Oran, dans le cadre de l’action psychologique, nous envoie un Siebel  piloté par le Cdt V… Sous ma conduite, sa mission consistera à larguer, de nuit et à basse altitude, des tracts sur les positions des unités de l’ALN au Maroc, que je connais bien. Mission remplie sans problème. 

Juillet 1961

Le Haut commandement ordonne un "Cessez le feu unilatéral". Les vols doivent se poursuivre comme précédemment mais sans droit de riposte. C’est comme si l’on demandait à un boxeur sur un ring de s’en tenir seulement à recevoir les coups. Rien n’est plus frustrant pour des pilotes de combat ! Combien sont loin les espérances suscitées le 13 mai 1958 ! Le Gal Cazelles, nouveau patron de la 13ème DI, comptable de la vie de ses hommes, me demande poursuivre le nettoyage des camps de mineurs (poseurs de mines).
"Détruire l’ennemi partout où il se trouve " 

Samedi 9 septembre 1961

318ème mission.
En fin d’après-midi, toujours en quête des camps de "mineurs", mon équipier, le Lt L… et moi-même décollons pour une reconnaissance sur le Djebel El Abed, sur la frontière algéro-marocaine à la limite Nord-Ouest de notre secteur. Un cantonnement nomade s’offre à nos regards. Il semble abandonné bien que quelques chevaux et chameaux broutent tout autour. Çà et là, quelques courtes tranchées. Ce spectacle insolite est inhabituel ; généralement les nomades marocains se manifestent à notre passage par des signes amicaux. J’effectue de nombreux passages à très basse altitude et à chacun d’aux, j’aperçois un homme, le fusil à la main, qui se cache sous l’auvent d’une tente. Le doute n’est plus permis. Nos roquettes détruisent le cantonnement. Les Fells paniquent et partent dans tous les sens. Les rafales de nos mitrailleuses font des dégâts à chacune de nos passes. Un vent de sable, ocre et opaques, arrive et nous contrait à abandonner le straffing. Retour à la maison.

Dimanche 10 septembre 1961

L’ALN réagit. 10 h 00 : après avoir recherché d’autre unités de l’ALN sur le Djebel El Abed, R… et sa patrouille rentrent au terrain. Au parking, les mécaniciens découvrent les deux T-28 criblés d’impacts de balles.
Les pilotes et observateurs n’ont rien vu, rien entendu. Seule information importante, le survol avec insistance d’une grande ferme, de type colonial, apparemment abandonnée, située en territoire marocain. Le jour même, les deux avions, sérieusement endommagés, sont convoyés, trains d’atterrissage sortis, à Oran La Senia pour une réparation relevant du 3ème échelon.

Lundi 11 septembre 1961

Un anniversaire traditionnel. Un vol de jour inhabituel. 
08 h 00 : commémoration de la mort du Capitaine Guynemer, le 11 septembre 1917.
Peu après, surprise de taille. Le vol de deux MAT-49 et de deux pistolets automatiques est constaté dans les chambres des sous-officiers mécaniciens. Un ex-caporal de la 5ème EC, en visite auprès de ses anciens camarades, serait sorti de la Base avec une lourde valise à la main ? 


Vendredi 22 septembre 1961

Ma 320ème mission.

23 h 00 : après avoir effectué un bombardement le nuit à dix T-28 sur le col frontière du Ras Beni Smir, qu’intercepte, avec le sergent D..., mon équipier, un véhicules phares allumés, non loin du PC de la zone 8 au Maroc. L’objectif est anéanti aux armes de bord. J’ai 32 ans.

Samedi 23 septembre 1961

Je reçois un message du deuxième bureau de la 13ème division classé TS indiquant :

« le 16 septembre à 18 h 40, le PC de la zone 8 demande à l’État-Major de la Willaya 5 à Bou Arfa, d’envoyer d’urgence l’ambulance sur l’intendance du Dough pour évacuer des blessés graves »
« Le 23 septembre, le PC de la zone 8 porte à la connaissance de tous, les décès du SLt Khatir et du Sgc Mustapha survenus à la suite des actions aériennes. Le PC demande à tous les bataillons de s’employer à venger ces martyrs en abattant un avion »

Fin septembre 1961

Sur ces différentes actions aériennes, le Gatac 2 déclenche une enquête de commandement dirigée par le Cdt V… Je ne lui cache rien. De lui-même, il nous apprend que nos agents de renseignements au Maroc ont, par le biais de la valise diplomatique, informé le Ministère des Affaires Étrangères que le 6ème bataillon de l’ALN avait été dissous suite aux attaques aériennes des forces de l’ordre. Ensuite, cette information a dû transiter par le Ministère des Armées, l’État-Major de l’Armée de l’air, l’État-Major de la 5ème Région aérienne, pour atterrir sur le bureau du Gal Hautière, commandant le Gatac 2. 

Mercredi 4 octobre 1961

Convoqués à l’État-Major du Gatac 2 avec R…, nous nous présentons au Général. En attendant la suite donnée à cette affaire, il m’inflige 20 jours d’arrêts de rigueur et un mois de suspension de vol pour le motif suivant :

« S’est rendu coupable d’une indiscipline grave en opérations, en transgressant les instructions formelles du commandement. Au cours d’une mission de reconnaissance à vue, effectuée le 9 septembre 1961 au-dessus de la frontière marocaine, a poursuivi des traces qui l’on amené à la découverte d’un camp rebelle situé en territoire marocain et s’est fait prendre à partie par les armes automatiques qui y étaient installées. A attaqué ce camp aux armes de bord et à la bombe respectivement les 11 et 12 septembre, enfreignant ainsi l’interdiction absolue de survol du Maroc par le commandement. »

Signé : le Général de la Brigade H… 

Le Général Cazelles a intercédé en notre faveur auprès du Général Stelhin, Chef d’État-Major de l’Armée de l’Air, comme lui polytechnicien de la même promotion. La punition ne sera pas aggravée, et en ce qui me concerne, je serai admis dans le corps des Officiers de carrière sur proposition de mon commandant d’Escadre. 


2ème quinzaine d’octobre 1961

L’affaire du vol d’armes du 11 septembre 1961 trouve son aboutissement. En effet, la DST a arrêté l’ex-caporal-chef C…. Ce dernier, membre du FLN sous le nom de guerre de "Si Norden", a avoué son forfait et sa trahison ainsi que les noms de membres du FLN à Méchéria auxquels il a remis les armes. Une opération de nuit montée par la DST, un commando de la Légion étrangère, R…r et moi, permettra de récupérer les armes sauf un pistolet automatique que C… a offert à son chef de Willaya à Oran. Sinistre affaire, je m’imagine à la place du père de l’intéressé, officier supérieur en activité.

Le 9 novembre 1961

J’effectue ma dernière mission de guerre n° 2. La 381ème en 938 h 15 de vol sur les territoires d’opération extérieures d’Indochine et d’Algérie, en trois séjours. J’ai participé à 156 combats en appui direct des troupes au sol. Lors de 14 missions d’appui (2 au Vietnam et 11 en Algérie), mon avion a été endommagé par les tirs ennemis dont deux fois très sérieusement. S’ajoute à cela un accident grave à Nhâ-Trang qui aurait pu mettre un terme à ma vie. Voilà le bilan de ma période guerrière, si celle-ci est terminée…


Jacques DRAPIER

Date de dernière mise à jour : 09/04/2020

Commentaires

  • Henri Abran
    • 1. Henri Abran Le 29/12/2021
    Bonjour,
    Juste pour savoir si vous étiez Capitaine à la DIER à Cazaux en 1962-1963 ?

    Un pistard

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