Mission PTT

Introduction

Le but de la mission est de détruire les lignes téléphoniques ennemies de façon à obliger l’adversaire à transmettre ses ordres par radio, à le localiser et à démasquer ses intentions.

Les moyens employés sont les chers Ju-52 équipés d’une corde lestée traînant sous le fuselage d’environ 25 m. Cette corde est enroulée sur un treuil placé dans l’avion et peut ainsi être allongée ou raccourcie à volonté.

Le déroulement de la mission

Les lignes téléphoniques sont, au préalable, repérées par un Morane 500 Criquet et tracées sur un calque à une échelle donnée, lequel calque est donné à l’équipage chargé de la mission.

Arrivé sur les lieux, le pilote identifie la ligne à détruire, fait sortir environ 25 m de corde, descend lui-même à une altitude de 5 à 10 m et attaque sous un angle de 45° à 90° selon la nature du relief. La corde vient alors heurter les fils et, sous le coup de fouet du lest, les rompt, les arrache parfois, voire les poteaux avec (poteaux légers en bambous). Il est fait ainsi autant de coupures que possible.

Les coordonnées des points de coupure sont soigneusement relevées par le navigateur et portées sur le compte-rendu de mission. Des reconnaissances faites quelques jours plus tard ont permis de constater que les lignes étaient rarement réparées. Manque de matériel sans doute !

Les résultats obtenus sont bons. Le lendemain de la première mission, le trafic radio viet avait doublé d’intensité.

À signaler une incidence inattendue : après plusieurs missions de ce genre, les "biffins" du secteur de Vinh-Yen s’apercevaient un matin que leurs propres lignes étaient "soulagées" de plusieurs kilomètres de fil. Il y a là, semble-t-il, une coïncidence pour le moins curieuse.

Une mission

Le Franche-Comté a le monopole de ce travail d’un genre nouveau : les missions PTT. Le Ju, après avoir été transporteur, bombardier, largueur de tracts, avion photo, reconnaissance de nuit, ramasseur de courrier … a trouvé une nouvelle utilisation ! L’intérieur du cargo est vide, sauf un treuil placé sur la soute à batterie avec une trentaine de mètres de corde. A côté du treuil, un tas de vieilles chaînes anti-verglas, sorties on ne sait d'où. Le matériel est complet.

Quelques instants après que le Ju décolle avec la souplesse d’un chasseur, tout heureux pour une fois de partir sans une lourde charge de riz, de rouleaux de barbelés ou autre marchandise d’épicerie. Inutile de prendre de l’altitude, le Toucan met directement le cap sur le secteur de travail.

La rizière défile à 30 m en dessous, les Nhà Qué (paysans) apeurés se terrent dans la vase, tandis que les buffles entraînent charrue et conducteur dans un galop effréné. Un peu plus loin, nous passons en trombe sur un blockhaus bétonné devant lequel les camarades "biffins" font de grands signes d’amitié en brandissant leur chapeau de brousse à bout de bras.

La zone viet commence là, avec ses rizières désertées où ne règne plus aucune activité. Le vol continue, toujours à basse altitude, sautant une colline ici, un bouquet d’arbres là.

Le vrai travail va commencer : sur ordre du capitaine, le mécano prépare son "chantier" et fouille dans son tas de chaînes. Il en choisit une, la contemple en connaisseur, un léger sourire dans sa barbe de type "zouave". En hâte, la corde est enroulée pour y fixer une nouvelle chaîne, pendant que le pilote continue son saute-mouton à travers les vallées, sans perdre la ligne de vue. Derrière, le radio tempête contre ces zigzags qui l’empêchent de manipuler correctement, lui faisant faire des traits là où il  faudrait des points. Son amour-propre est mis à mal car l’opérateur au sol pourrait se demander quel était ce "jeunot" qui vole aujourd’hui ! Peu importe, le message de position est transmis quand même, certes avec quelques hoquets, mais il arrive à destination, ce qui est le plus important, en premier lieu pour le commandement qui doit connaître notre position mais aussi pour nous, surtout au cas où …

  - « OK ».

Ce rugissement de la mécanique nous annonce que tout est prêt pour de nouveaux ravages sur la ligne. Tout le monde crie OK et le deuxième acte peut commencer, entrecoupé de temps à autre par des cris de joie ou par le mot de Cambronne accompagné d’un coup de poing sur la tôle.

Le soleil commence à disparaître derrière la masse imposante du Tam-Dao. L’aspect du relief est faussé par de longues traînées d’ombre qui remplissent les vallées d’une légère brume bleutée. C’est l’heure d’arrêter la plaisanterie pour ne pas risquer de se rompre les os sur un mamelon. Et d’ailleurs, il ne nous reste plus qu’une seule chaîne qui, toujours bien guillerette, se tortille à hauteur de la queue. Elle en voudrait encore, mais ça suffit pour aujourd’hui.

Avec la quinzaine de coupures réussies sur, une longueur d’environ 50 km, nous pouvons rentrer à la base avec la certitude que les Viets ne téléphoneront pas cette nuit. Leur service de liaison entre l’arrière et les avant-postes se trouve handicapé pour une bonne journée, si ce n’est d’avantage. Les équipes de dépannage feront des kilomètres, en tout-terrain, pour y trouver les coupures, raccorder les fils ou même les remplacer car il arrive qu’on en ramène quelques dizaines de mètres, entortillés autour de la chaîne. Beau trophée qu’on ramène au bar du groupe, car ici, tout s’arrose, même du fil viet ! Un plaisantin a même proposé d’utiliser ce fil pour la fabrication des "clous" de nos Croix de Guerre… des clous payés par Hô-Chi -Minh, quel honneur !

Toujours en vol rasant, nous mettons le cap sur Bach-Maï, salués au passage par les gars des postes qui doivent se demander ce que nous sommes allés faire là-bas. Répondez-leur "mission PTT". Cela ne leur dira sans doute pas grand chose, peu importe, ils seront persuadés qu’une fois de plus, le Ju a vibré de toute sa carcasse pour leur venir en aide dans l’accomplissement de leur mission.

 

Walter FLICK
Breveté à Agadir en 1943 (brevet n° 0909) - Décédé le 21 décembre 2002


Extrait du "Recueil de l’ADRAR" Tome 1

Date de dernière mise à jour : 04/04/2020

Ajouter un commentaire