Mission Mimosa

Oran, mars 1962

Je suis arrivé à Oran au milieu du mois de mars 1962, pour prendre le commandement du Groupe 2/91 "Guyenne", équipé de B-26 Invader.  

Hourlier
Gal Hautière, Cdt Hourlier (Coll. Caubel)

Mes sentiments étaient mitigés. Certes, j'étais heureux de l'honneur qu'on me faisait en me confiant ce commandement envié. Mais à Oran, la situation était catastrophique. Les pourparlers d'Évian, déjà en route depuis plusieurs semaines, aboutissaient au "cessez-le-feu" quelques jours après mon arrivée. Je n'étais donc là que pour liquider une guerre perdue par les politiciens ! Aux opérations contre les fellaghas succédait une redoutable insécurité due à l'insurrection OAS, particulièrement violente à Oran.

Avant même que mon prédécesseur, le Cdt Hourlier, n'ait quitté le Groupe, le Général Hautière, commandant les moyens aériens à Oran, avait reçu de son supérieur biffin, le général Katz, la mission la plus scandaleuse, la plus stupide qui soit. Voulant intimider les insurgés de l'OAS, dissimulés au milieu de la population d'Oran et notamment dans un groupe d'immeubles bien repérés, il ne nous demandait pas moins que de faire un court "straffing" sur ce groupe d'immeubles.

C'est Hourlier (décédé aujourd'hui) qui reçut du Général Hautière la transmission de cet ordre pour cette mission, alors baptisée "Mimosa". Je ne connais pas le détail de leur conversation. Quoi qu'il en soit, Hourlier et moi, nous nous sommes concertés et avons pensé qu'il n'était pas possible de demander à un de nos équipages d'effectuer cette mission honteuse. Nous allions donc la faire nous-mêmes, à deux avions, mais sans accepter pour autant de tirer sur Oran. Nous arriverions en formation sur la ville, cap face à la mer en léger cabré. Dans cette configuration nous lâcherions une courte rafale de nos mitrailleuses, fixes dans l'axe de l'avion (les mitrailleuses de tourelle, elles, ne seraient pas armées). Les balles iraient donc se perdre deux ou trois kilomètres plus loin dans la mer, sans risquer d'atteindre âme qui vive. Seul le bruit de notre passage et de notre tir serait entendu, en exécution de l'ordre reçu. 

C'est ce que nous avons fait. Je puis affirmer avec une absolue certitude qu'aucun projectile n'a pu atteindre la ville. 

Pourtant dès le lendemain matin, comme on pouvait s'y attendre, tous les journaux d'Oran criaient au scandale et désignaient les criminels qui avaient osé mitrailler Oran. Deux jours plus tard, l'OAS nous envoyait nos "condamnations à mort" par lettres personnelles. En France, dans les semaines qui ont suivi, le journal "Carrefour", pro Algérie Française, publiait la photographie d'une petite fille en robe de communiante et sur des béquilles que notre action avait soit disant mutilée !…

Hourlier parti, je prenais le commandement du Groupe. 

Les quelques mois qui ont suivi ont été particulièrement atroces. Le cessez-le-feu décrété à Évian n'a pas découragé l'OAS. L'insécurité s'est encore aggravée, alors que l'exode des "pieds-noirs" s'amplifiait de jour en jour. Le Groupe était stationné à proximité de la nouvelle aérogare du terrain d'Oran-la-Sénia. À longueur de journées, toute une population pauvre et désespérée, chargée de valises et de ballots, se ruait vers ces bâtiments. Là chacun y attendait pendant des heures une place problématique dans la rotation des avions vers la métropole.

J'essayais de maintenir au mieux la cohésion des équipages et de tout le personnel du Groupe, dans l'ensemble fidèle. Toutes les opérations étaient interrompues. Seuls se poursuivaient quelques vols d'entraînement ainsi que de surveillance au-dessus de ces villages algériens où les drapeaux verts et blancs des fellaghas flottaient partout ouvertement.

Nous savions que de terribles règlements de compte avaient lieu de toutes parts, dans ces campagnes, villages ou hameaux, que nous survolions encore. Nous nous sentions totalement impuissants devant tous ces drames.

Après six mois de cette situation d'abandon douloureux de l'Algérie, je rentrais en France. Tous les B-26 d'Algérie allaient être rassemblés à Cazaux, près du lac d'Arcachon, en un seul Groupe dont je conservais le commandement.

Le 2 septembre 1962, je décollais une dernière fois d'Oran, en formation avec les douze appareils du Groupe, pour rejoindre notre nouvelle base. J'emportais dans mon avion le drapeau de l'unité, quittant définitivement ce sol aimé d'Algérie, bien décidé à ne plus y revenir. 

À l'arrivée à Cazaux, toute la base nous attendait sur le parking et nous accueillait par une brève prise d'armes. J'y assistais le cœur lourd d'amertume et de tristesse.

Arriv
Gal Marie, Col Souviat, Cdt Caubel (Coll. Caubel)

Comme je me l'étais promis en partant, je ne suis jamais retourné en Algérie.
 

Pierre CAUBEL

Date de dernière mise à jour : 04/04/2020

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