Mes 800 heures sur F-104

Une expérience qui ne laisse pas indifférent 

J’étais au Centre d’Essais en Vol depuis quatre ans lorsque l’on m’a proposé de remplacer Jean Pinet qui était alors détaché auprès de l’Erprobungstelle 61 (Centre d’essais de la RFA).

Ce détachement entrait dans le cadre d’un contrat intergouvernemental qui permettait aux Allemands d’effectuer des essais en vol au départ d’Istres et Cazaux en utilisant nos zones de travail, la Circulation aérienne Essais Réception (CER), les moyens de guidage radar, de trajectographie, de télémesure et de restitution. En contrepartie le contrat prévoyait que la coordination des essais devait être assurée par du personnel français (pilotes, ingénieurs) et que les vols d’essais se dérouleraient en français dans un souci de sécurité.

Je suis donc arrivé à Manching en août 1965, où j’ai retrouvé Nicolas Lapchine, un ingénieur navigant d’essais, qui avait débuté le travail avec Jean Pinet ; nous fûmes rejoints l’année suivante par un autre pilote français, Christian Gandon-Léger et un ingénieur d’essais M. Chapeau, la charge de travail étant importante.

Le Centre de Manching, situé à mi-distance de Munich et de Nuremberg, n’était paradoxalement à l’époque des deux Allemagnes qu’à quelques kilomètres de la Bufferzone, zone tampon interdite qui bordait le Rideau de Fer. Manching est une base énorme avec deux pistes, l’une utilisée par une escadre de F-104 et l’autre réservée aux essais de l’Erprobungstelle 61 et de Messerschmitt, qui construisait les F-104 sous licence.

L’équipe française était chargée avec du personnel allemand des évolutions du système d’armes du Starfighter : radar et armement nouveau (AIM 9 modifié pour le Vietnam, adaptation des missiles français AS-20, AS-30, essais des bombes de 1000 lbs retardées par un système de freinage Matra, et le développement complet du missile AS-34 qui deviendra le Kormoran équivalent de l’Exocet aéroporté).

Nos essais se sont déroulés essentiellement à Istres et à Cazaux, le reste se partageant entre Manching, Helgoland en Baltique et Deccimomanu en Sardaigne. 

f-104-as-30.jpg
Lockheed F-104 "Starfighter" avec deux AS-30 (CEV)

Construit à plus de 2.700 exemplaires, le F-104 est resté pour beaucoup aux États-Unis, au Canada, en Europe et au Japon un avion mythique surnommé "The manned missile", "Le faiseur de veuves" (surtout en Allemagne) ou tout simplement "Le poignard volant". 

Les Allemands l’identifiaient un peu au Me-163 ou aux V1 et V2, à tel point qu’ils envisagèrent même de le faire décoller sur rampe. Les essais furent menés jusqu’au bout en coopération avec Lockheed. Le pari était osé, il fallait, sur une rampe de 30 m environ, projeter une masse voisine de 10 tonnes à 180 kt minimum. Le risque d’échec était énorme et les deux pilotes allemands (MM. Soos et Phillips) en ont des souvenirs émus !

f-104-dec-court.jpg

Techniquement les essais furent positifs, mais trois facteurs conduisirent à l’abandon du programme :

  • Le coût des modifications avions et de la construction des rampes était faramineux,
  • Opérationnellement l’affaire ne pouvait pas être rentable. Bien sûr on pouvait dissimuler plus ou moins les rampes de lancement. Mais les moyens des avions de reconnaissance de l’époque n’étaient plus ceux de la guerre de 39-45 et la dissimulation eut été illusoire. En plus il fallait décoller à la masse minimum avec 2 ou 4 missiles et peu de pétrole. Enfin à la sortie de rampe les pilotes étaient assez sonnés.
  • Pour rentabiliser ces avions il aurait fallu monter un système de ravitaillement en vol, ce qui a été réalisé par la suite sur quelques avions.

Le rapport coût - efficacité conduisit donc à l’abandon de cette formule.

f-104-et-fusee.jpg

L’origine des F-104 remonte à l’époque de la guerre de Corée en 1952. Au cours d’une tournée d’inspection organisée par l’état-major et des constructeurs, les pilotes en opération avaient émis le souhait de disposer d’un appareil alliant deux caractéristiques essentielles : vitesse et altitude.

De retour à Burbank, Kelly Johnson, responsable de Lockheed, écrivit les spécifications pour un avion qui volerait plus haut et plus vite que tout autre avion existant. Deux avions expérimentaux furent commandés en mars 1953 (le XF-104) et réalisés par Lockheed qui les baptisa "Le missile pilote de Kelly Johnson" tant les ailes étaient courtes et fines. D’ailleurs le pilote d’essais de Lockheed, Tony Le Vier, lorsqu’il vit le prototype, s’exclama : 

- « Mais où sont les ailes ? »

Ses caractéristiques font effectivement rêver : son envergure totale n’est que de 7 m, ce qui laisse moins de 3 m pour chaque aile avec une épaisseur variant de 6 à 12 cm ; le bord d’attaque fut souvent comparé à une lame de rasoir (on dut le protéger au sol pour préserver son aérodynamique mais aussi pour éviter aux mécanos de se blesser pendant la mise en œuvre de l’avion). Par contre sa longueur est de 18 m.  

Ses performances, pour un avion qui a effectué son premier vol le 17 février 1956 sont restées légendaires. Avec le F-104A, qui avait une poussée de 12.782 lbs et une masse maxi de 22.614 lbs, le Mach maximum atteint fut de 2.3 ; la Vi de 800 kt et l’altitude record de 103.395 ft.

Les chiffres suivants illustrent bien la volonté de son créateur : "plus haut, plus vite" : à un poids de 10 t, avec la postcombustion, le taux de montée moyen sur 40.000 ft est de 20.000 ft/minute.

J’ai personnellement réalisé sur F-104F la performance suivante : lâcher de freins, arrivée en supersonique à 40.000 ft en moins de 3 minutes.

Plus tard cet avion, modifié par la NASA, a permis de monter jusqu’à 100.000 ft et de manœuvrer pendant 90 secondes en apesanteur (le Commandant de l’École de la NASA, le colonel Chuck Yeager, fut chargé de l’entraînement sur cet avion des astronautes F. Borman, J. Mc Divitt ou T. Stafford).

Malheureusement ces qualités exceptionnelles avaient des contreparties pénalisantes dans trois domaines : certaines performances, la sécurité et les conditions d’emploi.

Ces contre-performances étaient surtout sensibles en combat aérien. En effet le F-104 était un véritable vecteur (montée rapide vers 40.000 ft, accélération haut supersonique, tir de missiles et retour à la base) ; en revanche en combat il n’avait aucune capacité en virage. Même en ayant le droit d’utiliser les volets décollage jusqu’à 500 kt, on n’avait aucune chance face à un adversaire digne de ce nom. Le salut n’était que dans la fuite. Les Américains comprirent bien vite cette lacune et ne poursuivirent le programme que pour le vendre aux pays du NATO afin de concurrencer les programmes français ou anglais.

Les F-104A puis F ont évolué vers le F-104G ou RF-104G. Ces versions multi-rôles, très alourdies, étaient en fait des chasseurs bombardiers, d’appui et de pénétration, utilisant des bombes lisses ou freinées, des missiles air-sol (AS-20, AS-30), ou air-mer antimarine (Kormoran), plus deux Sidewinder pour l’auto-défense. Cet avion modifié donnait satisfaction grâce à un système de navigation très correct et à un radar, dont les performances à l’époque étaient bien supérieures à celles des avions français, notamment en distance de détection. Par contre son poids important le rendait encore moins performant que le F-104A en combat aérien.     

La sécurité était très problématique. Le F-104 a toujours été critiqué pour sa sécurité en vol. Mais nombreux sont ceux qui ont confondu pannes graves et pilotes tués. Je fus chargé par les services français d’étudier les cas d’accidents. Bien sûr, le nombre en est impressionnant puisque pendant mon séjour à l’Erprobungstelle j’ai dénombré plus de 300 avions accidentés sur plus de 800 avions livrés ou construits sous licence en Allemagne.

Plusieurs raisons expliquent ce taux élevé :

  • D’abord la nature des vols : plus de 80% avaient lieu en dessous de 1.000 ft et à 500 kt ou plus, dont un très fort pourcentage au-dessus de la mer à des altitudes inférieures à 500 ft, avec des météos souvent limites (dans l’est et surtout dans le nord de la RFA ; mer du Nord, Baltique).
  • Ensuite et surtout le problème du siège éjectable qui n’a jamais été résolu de façon satisfaisante. Sur les prototypes et compte tenu de l’aérodynamique particulière de l’avion (dérive et plan fixe très hauts et très en arrière du cockpit), Lockheed avait jugé préférable de réaliser l’éjection vers le bas. Éventuellement possible en altitude, elle était inenvisageable à basse hauteur où se déroulaient en priorité les missions. Elle n’était pas non plus satisfaisante dans les phases de décollage, d’approche et d’atterrissage. Les appareils de série furent donc équipés du siège Republic, dont les mauvaises performances donnèrent à l’avion son triste surnom de "Faiseur de veuves". Équipé de rappels de jambes par câbles fixés sur des éperons que nous portions sur nos bottes de vol et de filets pour resserrer les bras, ce siège était limité à des altitudes supérieures à 2.000 ft. En conséquence la quasi-totalité des éjections conduisait à la mort du pilote.

Ajouté aux collisions fréquentes avec le sol ou la mer, cet avion était devenu la hantise des pilotes et le cauchemar des épouses.

Une étude fut faite pour l’adaptation d’un siège Martin-Baker à fusée. La modification était compliquée, coûteuse et très pénalisante pour le pilote (en dehors de la sécurité). En effet le pilote était avancé de 20 cm, donc beaucoup trop près de la planche de bord. Le siège, éjecté très en arrière pour assurer le passage des jambes, devait être équipé d’un couple correcteur de rotation pour éviter les ruptures des cervicales lors d’une éjection à grande vitesse. Cette modification complète (fusée plus stabilisateur) adoptée au Canada donna entière satisfaction. En Allemagne (et peut-être dans d’autres pays) la modification ne fut que partiellement réalisée (on se passa du rééquilibrage du siège à l’éjection) par mesure d’économie. Ce fut une amélioration car l’éjection pouvait se faire à ras du sol, mais presque tous les pilotes étaient morts à l’arrivée par rupture des cervicales. La colère fut générale et il y eut une remodification des sièges pour les rendre conformes à la définition retenue par les essais en vol. Le gouvernement du Chancelier Ehrard ne se remit pas de ce scandale.

Les conditions d’emploi du F-104 étaient difficiles.

Si les "moignons d’ailes" étaient un facteur très favorable aux accélérations, aux grandes vitesses, et aux grands Mach, ils n’étaient pas générateurs de beaucoup de portance, et les vitesses minimales étaient très "élevées". Les conditions d’approche auraient été inacceptables sans l’introduction d’un système de soufflage des ailes.

Ce soufflage était effectif lorsque l’on sortait "pleins volets", qui découvraient alors un très grand nombre de petits orifices d’où sortait de l’air venant du compresseur moteur. Il exigeait d’avoir au moins 85% de la puissance. La sortie "pleins volets" volontaire, ou sur panne à grande vitesse, était interdite (résistance de la structure ) de même qu’une réduction moteur en dessous de 85% en approche et à l’atterrissage.

Je donnerai deux exemples personnellement vécus pour illustrer le rôle du soufflage (auparavant il faut savoir qu’il y a environ 30 kt de différence entre les vitesses de décrochage avec ou sans soufflage).

Voici le premier essai que j’ai réalisé au cours d’une démonstration. L’avion est à 40.000 ft en configuration et vitesse d’atterrissage (train sorti, volets soufflés, vitesse de 200 kt et régime moteur supérieur à 85%). Je passe le réacteur sur plein réduit et coupe par conséquent le soufflage ; je me retrouve donc à une vitesse inférieure de plus de 20 kt à la vitesse de décrochage sans volets. L’avion s’enfonce à plat, le plan fixe est totalement inefficace, il faut absolument maintenir le roulis nul. Compte tenu du centrage l’avion prend un léger mouvement à piquer qui s’accentue au cours de la descente. Il faut attendre 20.000 ft pour que les commandes redeviennent efficaces. Je remets l’avion en configuration lisse, puis le réacteur sur plein gaz et stabilise le F-104 en palier. Cette manœuvre illustre bien le risque encouru en cas de panne de soufflage suite à un mauvais fonctionnement du système, ou à une baisse de régime (volontaire ou sur panne) : l’accident est inévitable.

La deuxième expérience, par contre, est involontaire car elle fait suite à une panne, peu fréquente heureusement, mais qui, à ma connaissance, s’est toujours terminée par la perte de l’avion.

Je revenais de mission en TF-104G (biplace) et me trouvais en vent arrière à Istres aux environs de 250 kt et 1500 ft. Je sors le train et commande les volets sur position décollage et oh ! surprise l’avion part en tonneau. Suspectant une sortie dissymétrique des volets, je décide de les rentrer ; deuxième surprise, l’avion se stabilise et repart en tonneau dans l’autre sens !  La tour d’Istres me rappelle à l’ordre pour ces manœuvres interdites en circuit de piste ! J’identifie une panne du distributeur de volets, à l’origine de quelques accidents. Devant l’impossibilité de me retrouver dans une configuration symétrique (sans volets ou avec soufflage), je contre au maximum le roulis en accélérant vers 270 kt et parvient à retrouver un roulis nul avec le manche plein à gauche mais je suis déjà sur l’étang de Berre !! La tour ayant réalisé mon problème, coordonne à la perfection avec Marignane qui fait dégager l’espace aérien. Je me retrouve face à la piste d’Istres en approche à 270 kt. Étant loin, j’ai le temps d’établir ma stratégie : en "courte" je passerai sur réduit pour perdre au moins 30 à 40 kt, mais en sachant que je perdrai le soufflage sur l’aile gauche. Approche risquée certes, mais nous étions encore équipés avec les mauvais sièges, donc… C’était la première fois que je prenais contact avec le sol à 230 kt. Heureusement la piste est très longue à Istres et l’atterrissage se déroula sans problème.

Dans cette aventure je n’étais pas seul à bord : c’était un biplace et j’avais derrière moi un jeune pilote d’essais allemand qui voulait absolument s’éjecter. Lui rappelant les caractéristiques du siège, je réussis à le convaincre de rester à bord.

Déjà un peu refroidi, il connut quelque temps plus tard une autre épreuve qui devait le décourager à tout jamais de l’aéronautique. Il était toujours en F-104 mais cette fois-ci derrière C. Gandon-Léger, lorsque dans le circuit de piste une fumée envahit soudain la cabine avec déclenchement d’alarme ; là encore le jeune pilote veut s’éjecter mais Gandon-Léger lui dit qu’il est préférable de se poser rapidement. Il pose donc l’avion après avoir demandé les secours, il coupe le moteur et sur la lancée dégage la piste.

Avant l’arrêt, le pilote allemand largue la verrière, sort de la cabine et saute. Hélas, dans sa hâte, il n’avait pas dégrafé la lanière de plusieurs mètres qui relie le paquetage dinghy à la ceinture du pilote. Resté accroché à l’avion, il est trainé sur quelques mètres avant l’arrêt de celui-ci.

Rien de cassé, mais nous ne l’avons plus revu, et le centre d’essais de Manching non plus. Une retraite bien précoce…

Cette attitude reflète bien l’ambiance de méfiance qui régnait autour de cet avion.
 

Une autre propriété ne jouait pas non plus en faveur du F-104G.

Les caractéristiques aérodynamiques et la position haute du plan fixe faisaient qu’un avion en vrille était un avion perdu. En vrille engagée l’efficacité de l’ensemble dérive-plan fixe (dans l’ombre aérodynamique) était nulle ; il était donc impossible de faire basculer le nez et de diminuer la vitesse de lacet. Chuck Yeager l’a essayé plusieurs fois et s’est toujours retrouvé au bout du parachute. Dans la Luftwaffe ou la Bundesmarine les départs en vrille se sont tous soldés par des éjections ou des morts selon la hauteur et parfois le siège.

Ce comportement jugé inacceptable avait conduit Lockheed à équiper l’avion d’un artifice le protégeant contre les dangers liés aux basses vitesses :

  • Un stickshaker : un "branleur" de manche qui nous demandait de rendre la main à l’approche du décrochage,
  • Un stickpusher qui renvoyait de 1° à piquer le plan fixe en cas de non-respect du stickshaker.

C’était une bonne idée à la base, mais la panne éventuelle de ce nouveau système entraîna un autre type d’accident au décollage. Lorsque l’avion est lourd et que la demande à cabrer est importante, un fonctionnement intempestif du stickpusher entraînait un renvoi à piquer du plan fixe, si bien que l’avion s’élevait puis percutait 800 m après le bout de piste. La consigne fut donc de couper les breakers stickpusher et stickshaker avant le décollage, ce qui n’était pas très apprécié dans cette phase de vol, où le système aurait dû au contraire être efficace.

Voici deux exemples qui illustrent le côté pervers de cette modification.

Le premier concerne un accident de la patrouille canadienne sur F-104 dans l’est de la France. Le plafond est irrégulier, un peu bas, la patrouille de 4 F-104 part en looping et rentre dans les nuages. À la sortie en piqué, le leader s’estime un peu bas, il tire au maximum, dépasse le stickshaker et le stickpusher entre en action ; il y a renvoi de plan fixe, le leader tire à nouveau et les quatre avions percutent pratiquement à la verticale.

Cet accident est à rapprocher de celui de la patrouille de voltige de la Luftwaffe où les quatre pilotes ont trouvé la mort.

Ils illustrent bien les mauvaises qualités de vol de l’avion en manœuvre et confirment que le F-104 n’était vraiment optimisé qu’en tant que vecteur porteur de missiles.

Je pourrais encore citer plein d’autres anecdotes ou accidents mais je terminerai en racontant une aventure, qui m’est personnellement arrivée et qui aurait pu me faire compter au nombre des "victimes" du F-104.

D’ailleurs, sans l’expérience vécue d’un ami que je regrette beaucoup, Jean Coureau, pilote d’essais chez Dassault, je ne serais plus là pour en parler.

Je me trouvais en F-104 à 500 kt, 300 ft, au sud-ouest de Cognac. Soudain un bruit sourd et l’impression que l’avion s’arrête. Je vérifie que la manette est en plein gaz sec mais je m’aperçois que la température tuyère est trop basse. Immédiatement deux souvenirs me reviennent à l’esprit :

- De l’EPNER, la réflexion bien connue : « Le cul qui s’ouvre et les kilos qui tombent ! »

- Et l’accident de Jean Coureau qui au décollage de Cazaux en Mirage a une ouverture intempestive des volets de paupière du canal PC au décollage plein gaz sec. Il sait que cette position des volets de tuyère correspond au fonctionnement de plein gaz,
postcombustion à pleine charge. Il passe donc la manette sur PC-PC, celle-ci s’allume avant que l’avion ne touche le lac de Cazaux. Un avion et son pilote sont sauvés.

Je suis donc au sud-ouest de Cognac, je diagnostique une panne huile "vérins paupières" (donc l’ouverture du canal PC), je prends de l’altitude en cas d’éjection probable et je repense au debriefing de l’accident de Coureau. Le temps presse car le F-104 sans poussée n’est pas un planeur parfait, je suis vers 2.000 pieds et la vitesse chute très vite. Je passe donc sur PC-PC (pleine charge postcombustion), les secondes passent, cela me semble une éternité, mais j’ai confiance et au bout d’un très long moment (on dépouillera 7 secondes), je reçois un coup de pied aux "fesses" qui ne passe pas inaperçu. J’étais descendu vers 1.500 ft pour garder au moins 250 kt et tout repart, la vitesse grimpe, je me sens revivre mais l’aiguille de la température est bloquée au maximum.

Je décide de rentrer sur Cazaux, toujours en PC-PC avec les aérofreins, pour ne pas atteindre 600 kt, voire passer le Mach. J’effectue une sortie de train en virage, PC mini pour avoir la vitesse la plus faible possible et j’amorce une très longue finale en coupant la PC. Ensuite, avec la piste de Cazaux en face, une configuration normale, ce n’est plus qu’un atterrissage classique, avec malgré tout une certaine appréhension pour le moteur.

Cette panne, qui n’était pas inconnue, qui avait été à l’origine de plusieurs accidents mortels, a conduit par la suite à une modification du moteur J-79 (adjonction d’un secours tuyère).

Pour ceux qui s’en sont sortis et heureusement ils sont très nombreux (si l’on compte tous les pilotes de F-104), en dépit parfois d’une appréhension avant certaines missions, le F-104 était un avion fabuleux, peu commun, une "mécanique" qui inspirait le respect et que l’on ne peut oublier.


Georges VARIN 

Ce texte a été extrait du Bulletin de l'Association Amicale des Essais en Vol (AAEV)

Date de dernière mise à jour : 08/04/2020

Commentaires

  • Bruno MARTINEZ
    • 1. Bruno MARTINEZ Le 31/05/2022
    Je suis un bon connaisseur du F-104 et j'ai vu évoluer les CF-104 canadiens du 1st Canadian Air Group de Baden-Sollingen pendant quelques années. Georges VARIN explique très bien les problèmes rencontrés sur cet avion, en particulier par la toute "jeune" Luftwaffe. Les jeunes pilotes sont passés rapidement sur cet avion très "pointu" avec les gros défauts décrits par VARIN et des conditions d'utilisation par du tout adaptées aux caractéristiques du F-104. D'ou plus de 121 tués en plus de 250 accidents. Par la suite une fois ces problèmes pratiquement résolus, le taux d'attrition est resté dans les normes. En Espagne, l'Ejercito Del Aire n'a pas connu un accident mortel en trente ans d'utilisation ! Mais il servait comme intercepteur pur (ce pourquoi il avait été conçu) et dans les conditions météo de l'Espagne. Tous ceux qui ont volé sur Starfighter en gardent un souvenir particulier. Très performant, très pointu mais il ne pardonnait pas les erreurs. Le décollage était puissant et rapide (un plaisir !). Par contre, en approche et en finale, surtout en virage, il battait des ailes ce qui était un peu inquiétant. Il touchait le sol à plus de 170 kt, ce qui rendait nécessaire le déploiement du "drag chute". Un appareil magnifique. Plutôt destiné à des essais haute performance qu'à un appareil de combat polyvalent. Je confirme que à ma connaissance, personne n'est jamais sorti d'une vrille sur F-104 ! Réservé à des pilotes expérimentés en respectant de strictes consignes…
  • Berger
    • 2. Berger Le 06/01/2022
    Tellement de bêtises ont été dites au sujet du F-104 , ce texte remet les choses en place.

Ajouter un commentaire