Mes 5.000

À Saint-Auban-sur-Durance

J'ai effectué un stage à Saint-Auban en mai 1970.

J'y ai retrouvé Daniel Barbera, qui était chef-pilote. Je l'avais connu à Cognac où il effectuait son service militaire. Nous nous retrouvions en fin de semaine aux "Ailes cognaçaises", où il était, comme moi, l'un des "treuillards" attitré de la Section militaire de vol à voile. Depuis, titulaire de plusieurs records, il était l’un des grands noms du Vol à voile français de cette époque. 

Traditionnellement, Saint-Auban était la plateforme d'où on pouvait espérer "faire ses altitudes" en vol d'onde, à partir de la Montagne de Lure (1).

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La montagne de Lure (J. Houben)

Pendant ce stage, j’ai partagé ma chambre avec Jacques Laplaine (Lap), qui était dessinateur au "Canard enchaîné". Charmant camarade, il ne manquait pas d’humour et je ne suis pas ennuyé avec lui. Grâce à son talent, le Livre d’or du Centre s’est enrichi de quelques-unes de ses oeuvres.

Tous les matins au lever, pour savoir si le vol d'onde était possible, nous nous précipitions dehors pour voir si des lenticulaires étaient apparus dans la nuit sur les sommets environnants, mais en vain.

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Magnifique lenticulaire. (CNVV)

Pourtant, le 22 Mai au briefing, le météo nous dit :

 - « C'est pour aujourd'hui, mais cela ne va pas durer toute la journée. »

Nous sortons les planeurs et je me vois affecter le C-30S "Edelweiss" F.CCUJ

Edelweiss
Le C-30S "Edelweiss"

Je retourne à la chambre m'équiper chaudement : deux tee-shirts, les sous-vêtements type Serge-Lifar de l'Armée de l'air, deux chandails, blouson de vol, foulard, gants…

Je suis remorqué et largué assez bas dans une très forte "pompe" qui me hisse rapidement vers la zone laminaire. Je n'avais alors jamais fait de vol d'onde et possédais seulement une connaissance théorique de la façon de l'utiliser, grâce aux cours qui nous avaient été dispensés.

Maintenant, tout est calme, sauf le bruit de l'air, qui devient de plus en plus fort au fur et à mesure où j'augmente ma Vi pour rester en avant du bord d'attaque du lenticulaire, là où le vario est maximum.

Les +3.000 m (altitude du "E") sont dépassés et ça continue !

J'arrive au Niveau 250, plafond négocié ce jour-là par le chef de Centre auprès du Contrôle d’Aix-en-Provence (de façon à ne pas interférer avec la voie aérienne Nice - Montélimar).

À 7.600 m, les +5.000 m (altitude du "F") sont largement atteints !

On nous avait recommandé de ne pas nous éterniser et que, dès que le gain d’altitude aurait été assuré, de revenir rapidement pour passer la machine à un camarade. Je reste néanmoins quelques minutes en palier, pour que le barographe enregistre correctement l’altitude, puis je sors les aérofreins et descends à la Vi max autorisée.

À cause d’une faille dans le plexiglass, je reçois un jet d’air glacé sur le visage, particulièrement sur le front, non protégé ni par le serre-tête, ni par le masque à oxygène. Même à cette vitesse, la descente prend un certain temps et je suis gelé.

Il faut dire qu’au départ, il régnait une température agréable à Saint-Auban. Le planeur avait déjà chauffé au soleil et, en fermant le cockpit, j’avais emprisonné de l’air relativement chaud qui, au cours de la montée et par suite de l’équilibrage des pressions, était ressorti de l’habitacle. Donc, la montée avait été assez confortable.

Évidemment, à la descente ce fut l’inverse, et l’air extérieur (glacial) rentra d’autant plus facilement que ma vitesse était élevée (2).

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En étape de base à Saint-Auban. (CNVV)

Finalement, je me pose au bout de 1 h 34 de vol ... et m'allonge dans l'herbe au soleil pour me réchauffer.

Jean HOUBEN

(1) Épreuves à effectuer pour obtenir un Brevet de vol à voile à cette époque :

A : plané de 30 sec
B : plané de 45 à 60 sec avec amorces de virages à droite et à gauche
C : vol d'au moins 5 min
D : durée 5 h
      gain altitude 1.000 m
      distance 50 km
E : distance 300 km
      gain altitude 3.000 m 
F : distance 300 km avec but fixé
      gain altitude 5.000 m

... mais tout cela a dû changer.

(2) Températures théoriques : 

- 3.000 m :  - 4°
- 5.000 m : - 18°
- 7.000 m : - 33°     

Date de dernière mise à jour : 28/03/2020

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