Leader de la Guimauve

Cela n’a évidemment rien à voir avec la Patrouille de France, et peut-on parler de patrouille acrobatique pour une formation de cinq Noratlas dont un solo ? Ce n’en était pas moins une impressionnante démonstration, très belle et même poétique selon certains. Un ancien leader de la Guimauve nous fait revivre cette activité peu connue du Transport aérien militaire.

Début juin 1968, c’est-à-dire à la fin de cette période mouvementée dont la France n’a pas fini de se remettre, leader pilote au “Maine”, je suis affecté comme leader pilote au CIET, Centre d’Instruction des Équipages de Transport.

Je repasse sur “la Grise” après deux ans sur quadrimoteurs. J’ai aussi, à ce poste, à diriger la Guimauve et le premier meeting est prévu le 7 juillet à Nevers, soit cinq semaines plus tard...

Il s’agit de prendre en main sans tarder la conduite de cette formation dont, au fil des ans, mes prédécesseurs ont fait un outil remarquable. Gérard Baratte, notamment, à qui je succède, a écrit le détail de la présentation et il ne me reste plus qu’à chausser ses bottes si bien cirées.

Briefing

À Nevers, la piste étant trop courte, la présentation se fait sans atterrissage, ce qui ne nous permet pas de juger du résultat sur place. Mais je pense qu’elle est d’autant plus appréciée du public que, par suite d’une mauvaise référence altitude, nous la faisons à une hauteur bien inférieure à la hauteur réglementaire (je peux l’avouer : il y a prescription).

Puis les meetings se succèdent, toujours les week-ends bien sûr ; les équipages sont toujours partants mais cela représente un sacrifice pour les familles.

Lors du meeting de Biarritz, au moment de rentrer à Toulouse, impossible pour un des avions de mettre en route, le démarreur refusant obstinément de fonctionner. Qu’à cela ne tienne, on le fera partir à la corde. Il suffit d’enrouler avec soin la corde sur la casserole d’hélice, de faire de bonnes injections, de mettre le contact au bon moment, et, « à bras ferme, hardis petits ! » Démarrage peu banal, non prévu dans l’incontournable UCD 101 (1)

Un autre meeting laisse aussi des souvenirs vivaces, celui de Calais. Le général Bodet, directeur des meetings nationaux, remettait à la réception qui suivait et à laquelle, généralement, nous ne participions pas, une coupe à la patrouille ayant fait la meilleure présentation. Ce jour-là, c’est notre tour. Bien sûr, nous percevons que ce geste est en fait un encouragement, mais ça fait plaisir quand même. Il faut dire que le présentateur, Jacques Nœtinger, celui-là même qui présente les démonstrations au meeting du Bourget, nous a “à la bonne” et qu’il est prolixe à notre sujet.

Mais au retour à Francazal, après avoir brandi bruyamment la fameuse coupe, il faut bien reprendre la mission d’instruction car la Guimauve ne doit pas générer la moindre défaillance dans l’activité des moniteurs. D’ailleurs, notre commandant du CIET, le regretté commandant Duhalde dit “le Bison”, se charge de nous rappeler aux réalités de notre travail afin que cela ne nous “monte pas au bocal”.

En meeting, nous nous trouvons en compagnie des patrouilles acrobatiques qui ont sur nous l’avantage, outre la qualité de leurs prestations à côté desquelles nous sommes quand même de “petits joueurs”, de faire beaucoup de décibels. Aussi, à défaut de faire du bruit, de tourner la boucle ou de passer sur le dos, nous multiplions les effets inattendus : passage en box train sorti ou avec un moteur en drapeau, virage à 45° sur un moteur pour le solo... Le commun des mortels ne devait vraisemblablement pas en percevoir la difficulté, mais le public avait l’air enthousiaste, si nous en jugions par les félicitations reçues lorsque nous rentrions au parking. Avouons-le, nous étions contents de nous.

J’avais remarqué que la transmission au public des ordres donnés par le leader au sein de la patrouille était un élément favorable à l’intérêt porté à la présentation, surtout si le leader personnalisait certains de ces ordres.

Le Noratlas, “avion moderne, rapide et bien armé”, étant encore équipé de postes à quartz..., je prenais donc la précaution de donner le quartz correspondant à la fréquence utilisée entre avions à l’unité des transmissions de l’Armée de l’air chargée de la sonorisation du meeting.

Par ailleurs, nous avions édité un tract sur la Guimauve, rédigée en Français mais aussi en Anglais, of course, avec photos, que nous pouvions distribuer sur place. Sans aller jusqu’aux autographes, quand même : restons modestes. Et pour faire pièce à la combinaison bleu-ciel “beau jeune homme” de la Patrouille de France, nous autres, avec notre combinaison de transporteur, ses grandes poches et ses dimensions qui permettaient de garder par-dessous le battle-dress, nous avions agrémenté notre tenue de vol d’une casquette rouge, récupérée dans une station Total, la marque Total étant masquée par l’insigne du CIET en tissu, cousu par-dessus. La débrouille, en somme...

Equipages

Un de mes prédécesseurs, Marcel Etchebarne, avait eu, lui, l’idée, à défaut de fumigènes en couleur comme la Patrouille de France, de verser de la fluorescéine par l’orifice d’évacuation de l’urinoir du Noratlas lorsqu’on passait devant la foule. Une belle couleur verte, mais ce ne fut pas du goût de certains spectateurs qui se sont retrouvés tout verts... Il avait aussi essayé de déclencher un fumigène ordinaire par un savant système imaginé par un mécanicien ingénieux, mais la fumée obtenue était si maigrichonne que l’expérience fut tout de suite arrêtée.

Les différents leaders de la Guimauve en avaient amélioré la présentation. Pour l’écourter et occuper le terrain afin d’éviter que les spectateurs ne se lassent, la patrouille se réduit à quatre avions plus un solo.

Figiures

L’équipage est de trois : deux pilotes et un mécanicien. Les pilotes occupent toujours la même place dans la formation, pour des raisons de sécurité. Pour cette même raison, seuls les pilotes affectés au CIET effectuent entraînements et présentation.

En virage, les 4 avions évoluent à 30° d’inclinaison (au lieu du sacro-saint taux 2/3) (2) pour rester en vue du public. La position des ailiers droit et gauche (n° 2 et 3), sans être encastrée, est plus rapprochée que la position normale. Le numéro 4 est juste derrière le leader, dans son axe et sur le même plan.
Paradoxalement, cette position est assez sûre ; en effet, compte tenu du souffle du leader, la moindre réduction des gaz fait reculer, d’autre part, le “matelas d’air” qui se forme derrière le leader rend pratiquement impossible un contact entre les deux avions.

Colonne

Au cours des mises en place extérieures, cette position vaut quelquefois à son équipage d’être douché par le mécanicien facétieux de l’avion leader, déversant, dans l’urinoir arrière, de l’eau (et non pas ce que vous croyez...).

Le solo (n° 5) rassemble uniquement après le décollage pour quitter tout de suite la formation et occuper la scène pendant que les autres effectuent les “papillons” entre chaque passage. Il ne rejoindra les autres que juste avant la dislocation. Le leader tourne à 1.800 t/mn, les autres à 2.400 t/mn, excepté le n° 4, piloté généralement par Jean-Louis Darou (4) : imperturbable, une allumette en permanence serrée entre les dents, il arrive à tenir à 2.000 t/mn, pour limiter la turbulence derrière lui lorsque nous sommes en colonne.

Pour le décollage, les avions s’alignent tous sur la piste en s’espaçant davantage que pour un vol de groupe normal. Mise des gaz, déjaugeage et décollage au top du leader, le seul à pouvoir se fier à son anémomètre, le souffle des avions perturbant celui des avions suivants. Le pilote en place gauche de l’avion leader pilote aux instruments jusqu’à la dislocation, il garde le nez dans la cabine pendant les 17 mn que dure la présentation !

De collage

Le leader, en place droite, ne pilote pas mais donne les ordres. Dans chaque ailier les pilotes se partagent le pilotage, notamment en colonne où, en fonction de la turbulence générée par les avions qui précèdent, l’un doit souvent tenir le manche à deux mains sans pouvoir toujours éviter la “mayonnaise”, l’autre tient les gaz. Il peut donc arriver, dans cette position, que la formation “se vrille”, d’où le nom de “Guimauve” (3). Le mécanicien a un rôle capital dans la surveillance des instruments moteur, le passage en drapeau ou la sortie de train au top du leader.

L’équipage est, là, une cellule très soudée.
Après chaque passage de la patrouille, le n° 5, piloté généralement par Jean-Noël Fromenty, dit “Toto”, amuse la galerie avec virages serrés sur un ou deux moteurs (au CIET, le vol sur un moteur c’est presque une seconde nature...), montée à forte incidence et sortie de cabré...

La veille du meeting, répétition sur place à un seul avion avec, comme pilotes, le leader et le n° 5. On exécute la partition du leader, puis celle du n° 5, ce qui me fait dire quelquefois, dans cette deuxième phase, lors de la sortie de cabré : « Toto, ne passe pas sur le dos ! »

La dislocation face au public est le moment le plus spectaculaire. La formation arrive en colonne face au public. Au top du leader, le n° 5 plonge dans l’axe et, immédiatement après, les autres avions breakent simultanément, en alternant à gauche et à droite. L’idéal serait de ne faire que des dislocations, tant le succès de cette figure est garanti !

Eclatement

Faire partie de la Guimauve était un bon exutoire au métier passionnant mais exigeant, ingrat et souvent frustrant de moniteur (on mouillait bien la combinaison de vol), et c’était très valorisant. Lorsque je sentais une baisse de régime chez les moniteurs, nous faisions un entraînement, même en dehors de la période des meetings. Cela ne coûtait pas trop en heures de vol et, même après le travail, c’était reparti !

Mais tout ayant une fin, mon successeur, Yves Buffat, a dû arrêter cette belle aventure qui était devenue trop coûteuse en heures de vol au regard de la diminution des potentiels et en raison de la charge accrue des moniteurs. Aussi, je peux dire qu’avoir mené cette formation 75 fois, dont 11 en meeting, a été pour moi une chance et une des périodes passionnantes de ma carrière de pilote.

De 1960 à 1972, la Guimauve a été commandée par les Cne Marouard, Moal, Etchebarne, Baratte, Duvivier, Buffat.

     
Jean-Pierre DUVIVIER

Origine du texte : "Pionniers" n° 208 de juin 2012

(1) Manuel d’utilisation du N2501.
(2) À la vitesse de 150 kt, le taux 2/3 correspond à une inclinaison de 15°.

(3) Le pilote aligne saumon de l’aile et nez de l’avion leader et se maintient à hauteur de ses cocardes et non de ses dérives.

(4) En 2007, J.-L. Daroux en est rendu à 34.000 h de vol : il concurrence
le "Vieux soldat", le Col Adias.

Date de dernière mise à jour : 15/04/2020

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