Le trou du couillon

Le syndrome du terrain de destination

Vendredi 2 décembre 2016 : tentative vers Le Versoud. 
Même pas eu envie de les appeler, encore moins d’aller voir pour vérifier si la visi annoncée est bien là. 

Cette anecdote m’a rappelé un de mes atterrissages pointu - inconscient - irresponsable.

Par régime météo anticyclonique humide dans l’est de la France, les aviateurs militaires appréhendent le « trou du couillon ».

Les avions décollent en fin de matinée quand le soleil commence à percer un trou dans la couche de stratus, et essaient de revenir se poser avant que le "trou" se soit refermé. Comme il arrive souvent que la durée d’ouverture du "trou" soit plus courte que prévu par la météo : c’est le déroutement assuré. D’où l’appellation !

Tout avait commencé un vendredi de novembre 1968 sur la base d’Ochey. Un des chefs, qui devait être présent sur la base d’Orléans le lundi matin suivant, avait décidé d’y passer le week-end.

Un peu en avance de phase sur l’ouverture du "trou" nous décollons en Fouga pour un aller et retour rapide vers Orléans. À charge pour moi de ramener l’avion à Ochey.

Fouga z 1
CM-170 Fouga "Magister"

Pas de chance. Le trou s’est refermé plus tôt que prévu et j’ai passé la nuit à Orléans.

Le lendemain matin, samedi, Ochey est dans le brouillard et Saint-Dizier est "vert". Je décolle donc pour Saint-Dizier, en espérant profiter du "trou" pour faire le saut de puce vers Ochey.

Patatras !

En arrivant à Saint-Dizier je découvre que, le terrain n’étant pas d’alerte, il ne sera pas possible de refaire le plein du Fouga. Pas question d’appeler le soutier, civil en astreinte chez lui, pour un simple vol de liaison.

En rendant compte au directeur des vols d’Ochey, celui-ci me dit qu’il s’est posé la veille à Saint-Dizier avec notre T-33 et que, pour pouvoir assurer son poste, il a dû se faire ramener en voiture à cause de la fermeture du "trou". Il reste suffisamment de pétrole dans son avion pour faire un aller et retour Saint-Dizier - Ochey, et un casque radio aux normes américaines est planqué en place avant, sous le parachute.

T33 finale
Lockheed T-33 "Shooting Star"

Nous convenons de rester prêts, pour tenter le retour dès qu’il me fera signe. Le "trou" ne devrait pas tarder à s’ouvrir sur Ochey.

C’est parti. Les conditions nécessaires pour un atterrissage en T-33 (200 pieds de plafond, 1000 m de visi) devraient être remplies à mon arrivée. Ciel bleu au décollage de Saint-Dizier, une belle couche de stratus est visible vers l’est, au-delà des côtes de Meuse.

Sous les ordres de l’approche d’Ochey, toujours en ciel bleu à 1.500 pieds, je commence la descente GCA en piste 20, sans rampe d’approche à l’époque, mais mieux orientée que la 02 pour limiter la gêne due à la réverbération du soleil sur la couche de nuages.

Entrée dans la couche, par le haut, vers 500 pieds. Je l’annonce au contrôleur et continue la descente. Il me demande d’annoncer « Piste en vue ».

Comme le prévoient les ordres, à 200 pieds il m’ordonne la remise des gaz… à l’instant où j’entrevois une grosse tache sombre sous les ailes de l’avion. J’avance un peu la manette pour réduire le taux de descente, et je distingue des arbres. Je m’estime suffisamment haut et je connais bien la base. Je continue donc à descendre doucement pendant que le contrôleur, qui surveille le plot de mon avion, répète plus fermement son ordre de remise des gaz.

Traversée de la route de Bicqueley, passage de la clôture de la base au-dessus d’une porte balisée, utilisable par les pompiers et que je sais être dans l’axe de la piste, visuel sur le POR (Partie Occasionnellement Roulable) et sur les balises du seuil de piste. Attero un peu long. Après avoir freiné j’annonce « Contrôlé » à la radio.

La tour, qui est dans le brouillard et ne voit pas la piste, me demande si j’ai besoin d’être guidé par une voiture pour rentrer au parking. Cela n’a pas été nécessaire…

Cette "vaccination" m’a servi de leçon.

JAMAIS je n’ai retenté ce type d’exercice.

 

Denis TURINA

Date de dernière mise à jour : 30/03/2020

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