Le Mirage qui n'aimait pas voler

Montélimar, mercredi 20 mai 2009

Il fait très beau. Une quarantaine de Vieilles Tiges lyonnaises et provençales, venues par la route ou les airs, se retrouvent sur le terrain pour une visite du musée de la Chasse. L'accueil est fort sympathique. Après restauration, deux guides nous accompagnent dans les deux hangars et le parking, qui offrent une panoplie étonnante de chasseurs à réaction "opérationnels". Vaut le déplacement.

Un seul point noir : la chaleur étouffante dans les hangars ce jour-là, qui m'a fait quitter le guide au pied d'un Jaguar pour marcher vers un point d'eau.

Et c'est là, au-dehors, que j'ai retrouvé le Mirage IIIA 09. À vrai dire, je m'y attendais et je le cherchais car, mon lâcher Mirage, c'était lui. Et, surtout, parce que j'ai été témoin privilégié de sa mauvaise volonté à bien voler.

Cazaux, un jour d'été 1960 

Voici deux ans que je suis affecté à l'annexe "Armements" du CEV. Il y a beaucoup d'avions et les pilotes ne s'en plaignent pas. La guerre d'Algérie a conduit les états-majors à racler les fonds de hangars pour armer tout ce qui peut voler et l'on passe du T-6 au Mirage dans la foulée.

Les constructeurs sont présents eux aussi : Sud Aviation termine le Vautour et Dassault possède un fort détachement autour des Mystère et Mirage. L'annexe de Dassault a acquis une certaine autonomie dans la grande maison-mère, fonctionnant en diarchie avec Henri Suisse, le pilote, pour le soft et Jean-Louis Lemaçon, un self-made-man remarquable, pour le hard.

À signaler enfin qu'il n'y a pas de couverture radar et que - cela est une autre histoire bien triste - l'été précédent le Lieutenant de vaisseau Lanteaume a disparu en mer en exécutant un tir de roquettes à grande vitesse sur Super-Mystère. Depuis, les hautes autorités du CEV ont prescrit un avion d'accompagnement pour les vols d'ouverture de domaine avec risques, vols que seuls les pilotes constructeurs peuvent faire désormais. M. Pommaret, le directeur, s'est montré intransigeant sur ce point.

Donc, en ce jour d'été, Henri Suisse vient demander au CEV un avion d'accompagnement pour un tir au canon sur Mirage. N'ayant pas été prévu la veille, ce vol ne figure pas sur le grand tableau des prévisions de vol qui trône chez nous, dans l'entrée, récapitulant les activités opérationnelles de l'annexe.

Comme moi aussi je dois effectuer un vol sur Mirage, je lui propose de travailler en patrouille, moi passant le premier. Ce que je fais. Lors du tir de Suisse, se produit un décrochage partiel du réacteur. Le phénomène est mal connu chez nous à l'époque, pour ne pas dire ignoré. Et comme le réacteur continue de tourner (en fait le compresseur est en "vrille", la température de tuyère excessive et la machine vibre très fortement), le pilote pensant garder une poussée non négligeable, demande l'atterrissage d'urgence et laisse le réacteur en l'état.

De mon côté, plutôt court en pétrole, j'estime pouvoir me poser et dégager avant l'arrivée du 09. Avec l'accord du contrôle, je me précipite donc sur le terrain. En dégageant sur la bretelle en bout de piste, j'entraperçois dans mon dos le Mirage 09 roulant vite et sans parachute de freinage. Il efface le bout de piste.

Au parking, c'est la consternation. Mais on apprend bientôt que Suisse est indemne, que le Mirage, après la perte de son parachute, a cassé la barrière filaire puis a laissé son train sur le bord du canal dit "des Allemands", canal qui se trouve entre la piste et l'étang. Car il lui restait assez d'énergie pour franchir ce dernier obstacle sans se planter dans le canal. Un peu l'histoire du parachutiste qui perd son parachute et tombe à côté d'une fourche dans une meule de foin !

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Le Mirage IIIA 09 "le nez dans la luzerne" à Cazaux le 20 juin 1961

Et ensuite ? Ensuite, Jean-Louis Lemaçon a déclaré qu'il était capable avec son équipe de réparer l'avion tordu. Et c'est ce qu'il a fait.

Cazaux, 20 juin 1961

J'ai le nez dans l'écran radar du 09 ressuscité, à 20.000 pieds cap au nord vers Lacanau, essayant d'accrocher le Canberra qui "plastronne" à quelques kilomètres devant, quand je me sens poussé vers l'avant. Extinction du réacteur ? Demi-tour vers le terrain et j'applique la consigne en commençant par réduire la vitesse. Le réacteur ne reprend pas.

Comme le terrain est loin, j'annonce que j'ai l'intention de m'éjecter à la verticale du bassin d'Arcachon. Mais, comme je vois toujours l'entrée de piste sous le même angle et que le vol plané, même en Mirage, est confortable, je sursois puis décide de tenter l'atterrissage. Train sorti et verrouillé à relativement basse altitude, j'y crois.

Il m'a manqué quelques décamètres et je fais la même démonstration que Suisse, mais à l'autre bout de piste, en terminant sur le ventre près de la barrière d'entrée. Le rideau de siège éjectable pendant le long du fuselage, on a pensé que j'avais eu... une très forte intention. En fait, la cause revenait aux cahots du crash, ce qui a amené une petite modif. dans le système.

L'avion était encore réparable, mais les hautes autorités, dans leur très grande sagesse, ont décidé que le 09, puisqu'il aimait manifestement les barrières d'arrêt mais ne savait pas s'en servir, aurait à l'avenir vocation de les tester.

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Sommairement réparé, et convoyé à Istres, le Mirage IIIA 09
servit à la mise au point des barrières Aerazur

Et c'est ainsi que de la fenêtre de mon bureau SNECMA, quelques années plus tard - car j'avais entretemps échangé l'uniforme contre une combinaison civile - j'ai souvent vu le Mirage 09 se faire prendre au filet en bout de la 34 à Istres.

Istres, novembre 2010 : réflexions d'automne

Au crash, je n'ai pas eu l'impression de toucher durement. Et je crois que d'autres pilotes ont dit la même chose après avoir cassé le train. J'y vois le fait que l'énergie absorbée par la cellule souffrante joue le rôle d'amortisseur et que c'est moins brutal que la piézocution sur la butée du train (je pense enfoncer là une porte ouverte !). Et puis, on serre les fesses !

Dans le cas du deuxième accident, j'ai conclu trop rapidement à une extinction qui n'était en fait qu'un passage accidentel sur ralenti. J'ai donc gaspillé inutilement de l'énergie en réduisant la vitesse est c'est ce qui a dû me pénaliser des quelques 100 mètres qui m'ont manqué. Aurait pu mieux faire...

À la SNECMA, j'ai rencontré beaucoup de décrochages en tous genres et fais quelques centaines de rallumages. J'aurais pu prétendre à un brevet A de planeur en monoréacteur. Comme l'atterrissage réacteur éteint était une probabilité non négligeable, les vols se terminaient souvent en simulant la panne. On demandait à la tour un "ACONTUCOU" (Atterrissage en CONfiguration TUrbine COUpée) ou un canard, ça dépendait de l'écurie. En fait, je ne me suis posé chez le motoriste qu'une fois en panne réacteur, sur le biréacteur SO 30 ATAR qui avait vidangé son pétrole en vol à la suite de la rupture du robinet d'intercommunication. Et, ce jour-là, l'ACONTUCOU ne m'étant d'aucun secours, je me suis souvenu de la PTS - prise de terrain en S - un des points forts de l'entraînement sur Morane 315 à Salon. Et cela m'a été fort utile...

La culture aéronautique, c'est ce qui reste quand on a tout oublié...


René FARCY

Extrait de  "Pionniers" n° 184 de décembre 2010

Date de dernière mise à jour : 05/04/2020

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