Le B-747 et moi

Boeing rassemble les hommes

Quelle belle profession de foi pour cet avion mythique qui a révolutionné le transport aérien, qui l'a véritablement démocratisé, souvenez-vous, Air France s'était accaparé de l'image Jumbo en créant le concept Jumbo Hors des Hordes.

B 747 af 
Boeing 747

Par-delà les défis techniques, et nombreux ils l'ont été, l'aventure humaine fut également aussi importante. Pour nous, équipages, la question était comment animer un groupe de 18 personnes devant vivre en communauté pendant une dizaine de jours. Un équipage est un microcosme vivant dans un monde souvent étrange, parfois hostile ou chacun a une place importante au bon fonctionnement de la PME. 

Quand j'étais copilote j'ai souvent fait l'intermédiaire entre le maitre à bord, le vieux chibani avec toute son expérience, mais aussi les problèmes de communication dus aux conflits de génération et le jeune chef de cabine plein d'ambitions :

- « Monsieur X, chef de cabine principal et son équipage, sont heureux de vous accueillir à bord de ce B-747 »

J'ai beaucoup d'admiration pour la façon dont les hôtesses et stewards procédaient pour désamorcer des situations qui auraient pu dégénérer en émeute dans un espace aussi confiné qu'une cabine d'avion.

Plus tard, ayant accédé au trône, j'ai découvert que l'habit faisait parfois le moine, quand la situation le nécessitait, j'enfilais l'habit de lumière, galons dorés bien en vue. La présence des galons suffisait  bien souvent à calmer la situation.

Que dire des passagers, certains étaient odieux, bien souvent à cause de la peur, d'autres étaient charmants et bien souvent les contacts pouvaient être enrichissants. Le principal était de créer l'atmosphère et à ma connaissance il n'y avait pas de recette miracle. Des situations parfois cocasses pouvaient se produire.

J'ai le souvenir d'un passager qui sentait des pieds. Comment faire pour vaporiser discrètement un désodorisant ?

J'ai également le souvenir d'un passage de ligne d'un jeune steward saisonnier qui n'avait pas son visa pour Moroni. Nous l'avions planqué dans la soute électronique et, bien entendu, à l'arrivée le mécanicien sol accompagné d'un représentant de la maréchaussée locale sont venus l'interroger. Je crois que c'est le seul STW à avoir le visa Moroni.

Parfois la situation était moins drôle.

Un soir au départ vers Luanda un Pax espagnol de première classe fort mécontent d'avoir attendu trop longtemps son vol nous fait un scandale :

- « Je ne partirai d'ici que si mon chien qui voyage en soute est à bord »

Un bagagiste décharge de la soute 5 le chien dans son chenil.

- « OK ça va ? »
- « Non ça ne va pas, je ne vois pas la nourriture de mon chien ! »

Comment faire ?

À cette heure-ci le magasin Carrefour est fermé, comment allons-nous faire ?

Quelques instants plus tard arrive un gars de la Servair avec un beefsteak bien saignant large comme deux mains ouvertes !

- « Mon chien ne mange pas de viande, il ne mange que des croquettes »

Solution de dernière chance :

- « Demain un vol de Sabena va à Luanda, on vous promet que les croquettes seront à bord »

Ouf ! On s'en est pas trop mal tiré. Retard 15 minutes cause pax.

Ironie du sort le lendemain matin à l'arrivée à Luanda on débarque le chien ainsi que ses croquettes qui étaient à bord !

Et la monture ?

Formidable avion que ce B-747 ! Un monstre imposant de 330 t mais avec des commandes de vol bien plus agréables que celles du B-707, une redondance exceptionnelle :

- 4 circuits hydrauliques,
- un APU qui permettait de chauffer l'hiver et de climatiser l'été,
- un bilan électrique de plus de 200 kW,
- un avion taillé pour les OMN, un bureau de ministre avec un siège muni d'un moteur électrique pour aller d'un bout à l'autre de son pupitre.

Pour nous pilotes, un pilote automatique capable de faire l'atterrissage automatique ! Finies les approches par visibilité réduite, à la main, au petit matin, les yeux pleins de buée !

                        B-747 : "QUEEN OF THE SKIES"

Pourtant les débuts n'ont pas été de tout repos, souvenez-vous des réacteurs JT9D-3A avec injection d'eau, 2 tonnes consommées au décollage en 2 minutes.

- Les inverseurs de poussée sur les flux primaires qui faisaient passer les réacteurs en surchauffe parfois plusieurs minutes après être repassés en poussée positive à l'atterrissage.
- La Gang Bar positionnée au-dessus de 35.000 pieds pour éviter de réduire les gaz sous peine de pompage voire d'extinction. D'où les débuts de descente à mach 0.86.

Fort heureusement le JT9D-7 a arrangé tout cela et "PRATT & WITNEY AIRCRAFT DEPENDABLE ENGINES" est resté fidèle à sa devise. La mise en service des version équipées du General Electric CF6-50, qui poussaient un peu plus, à autorisé des avions plus lourds à 375 t 6.

Eux aussi ont eu leurs problèmes de jeunesse. Les carter en alliage à base de magnésium pouvaient prendre feu ! Quelques pannes moteur, au décollage à pleine poussée, juste à la rotation. Comme au simulateur !

Cockpit b 747

Enfin le B-747-400 encore plus fort ! Jusqu'à 395 t pour certains, comment ont-ils pu faire pour loger les instruments OMN sur une planche pilotes bien remplie ? Mais Microsoft Windows était là avec la télé en couleurs et de nombreuses chaines en plus !

747 cockpit
Au départ de Buenos Aires le 27 novembre 1996, sur un B-747-400 (Coll. J. Beaudeaux)

Et avec lui le brouillard cela n'existe pas : hauteur de décision … 17 pieds !

Pas 18 ni 16 mais 17, ce qui veut dire descendre jusqu'à 5 m du sol dans le brouillard ! Autant vous dire, pour avoir pratiqué ce genre de sport, ce n'est pas de la tarte !

On pourrait penser à lire ce qui précède que nous vivions dangereusement ! Pas du tout. Certes on se souvient de certaines frayeurs mais je ne me suis jamais senti aussi serein que dans un B-747.

Merci Boeing, vous nous avez inventé de merveilleuses machines volantes.

 

Jacques BEAUDEAUX

Date de dernière mise à jour : 04/04/2020

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