La reconnaissance du colonel Delayen

Au Tchad en 1977

Ma première mission particulière hors normes fut effectuée suite à la rencontre fortuite avec le Col Jean-Louis Delayen, conseiller particulier du Président du Tchad, un vendredi de juillet 1977.

En effet comme toutes les veilles de week-end où nous ne volions pas (présence sur la base seulement les matins en semaine), le rendez-vous du vendredi midi au bar de l'escadrille était une coutume, afin de récupérer le courrier de la semaine amené par le vaguemestre de l'ambassade de France.

Ce jour-là à 13 h, nous restions deux à ouvrir les lettres et terminer notre whisky-tang, quand un français habillé d'un short, d'une chemise militaire sans distinction et de rangers toile kaki fit son entrée. Sa silhouette était connue de tous, soit pour l'avoir croisé souvent sur les pistes, en bordure ou en ville en train de faire son jogging, soit à la présidence ou en opération dans le nord du Tchad en tenue camouflée de baroudeur.

Pas de membre de la hiérarchie locale pour valider, pas d'avion mis à disposition, pas de plan de vol, pas de..., pas de..., pas de...

Le Col Jean-Louis Delayen, grande figure des commandos et de l'infanterie de marine, Grand Officier de la Légion d'honneur, venait de faire son entrée. 

- « A vous deux, vous pouvez faire un équipage ? » demanda-t-il.
- « Euh... oui mon colonel. »  
- « Alors en route, on prend un avion et on y va. »  

Pour lui c'était simple, pas pour nous : pas de mission programmée, pas d'inscription sur le cahier d'ordres.

Mais en fait à lui tout seul il était tout ça et nous le savions, en qualité de conseiller particulier du Président tchadien, pas besoin de demander à qui que ce soit pour entériner la décision et, nous étions en Afrique.

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C-47 de l'Armée tchadienne

Mon copain Jean-Pierre, commandant de bord, et moi-même sommes donc partis en piste, désertée par les mécanos français pour le week-end, afin de choisir un avion disponible en fonction des ordres de la veille et d'une forme 11 RAS. Quant à la mise en route, elle fut autorisée comme par magie par la tour, de même que la clairance fut énoncée comme si prévue déjà par avance, pour nous donner enfin quelques informations sur la destination de la mission.

Nous voilà donc partis tous les trois en C-47, plein nord vers le Tibesti, pour la région de Zouar. Chemin faisant durant 4 h 30 de vol, le colonel nous dévoila enfin la mission, dans les détails.

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Environs de Zouar

Devant la descente annoncée du "Frolinat", le poste de Zouar devait être évacué par les airs dans les jours suivants, mais sans aucune précision de cette marche des rebelles vers la cible : Faya, il voulait avoir un aperçu des environs, voire repérer les colonnes éventuelles de Toyota non signalées par les soldats gouvernementaux, puisqu'ils étaient retranchés sagement dans leur fort de Zouar et pas pressés du tout d'en sortir pour voir ce qui se passait à l'extérieur.

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Le fort de Zouar

Arrivés sur site, nous avons effectué des reconnaissances à vue (RAV) à très basse altitude et évidemment nous sommes tombés sur des colonnes du "Frolinat", tranquillement en route sur Zouar en colonne serrée de véhicules 4x4 armés.

Pour le colonel la suite ne pouvait être que simple, on se pose, il va voir et nous, on se tient prêts à repartir dare-dare. 

- « Mais on se pose où mon colonel ? » 
- « C'est votre problème, moi je suis prêt à bondir. »
- « Go ... go ! »

On s'est posé, il est parti à pied pendant près d'une heure vers les dunes et les rochers du Tibesti pour trouver un poste d'observation, pendant que nous remettions l'avion dans un axe de décollage rapide et acceptable, vis-à-vis des conditions de proximité ennemie.

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Paysage du Tibesti

Il est revenu à l'avion : mise en route d'urgence et nous sommes repartis avec les informations recherchées, simple routine en somme...

À son retour à N'Djamena, il est allé à la présidence et dès l'après-midi, a mis en place des avions à Faya pour une opération d'évacuation du poste de Zouar, décidée et réalisée dans les plus brefs délais, plusieurs jours avant la date prévue initialement (et connue de tous par le tam-tam africain et autres indiscrétions). Il était temps, car les rebelles se mettaient en position et les patrouilles avancées avaient déjà commencé à taquiner le poste, il a fallu le renfort des pilotes français contractuels et de leurs AD-4 Skyraider pour les occuper toutes roquettes dehors, afin d'effectuer les rotations d'évacuation. 

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AD-4 "Skyraider" de l'Armée tchadienne

Évidemment avec Jean-Pierre, désignés d'office par notre hiérarchie locale mise au courant de notre aventure du matin, nous étions aux avant-postes.

Ce fut l'objet de notre première citation.


Jean-Luc GERBER

Extrait de "La Charte" juillet-août 2013

Cette mission a fait l'objet, d'un paragraphe dans le livre "Le Baroudeur " de Georges Fleury (Éd : Grasset - 1979) 

 

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Le Général Delayen, 1921-2002

 

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Résumé de cette période ... pour essayer d'y comprendre quelque chose :

13 avril 1975 : le général Félix Malloum est porté au pouvoir par un coup d'État au cours duquel le président Tombalbaye trouve la mort. Rupture des relations diplomatiques avec la France.

Malloun

Octobre-novembre 1975 : les dernières troupes françaises quittent le Tchad sur la demande du président Malloum, seuls 300 conseillers militaires, 350 professeurs et 200 techniciens sont autorisés à rester.

6 mars et 19 juin 1976 : signature à N'Djamena d'accords de coopération militaire et technique entre la France et le gouvernement du général Malloum.

30 janvier 1977 : libération de Françoise Claustre.

Claustres

1977 : intensification du conflit armé avec le FROLINAT, dont les différentes factions se réunifient sous la direction de Goukouni Oueddei (Weddeye) et de ses Forces Armées Populaires ; en juillet prise des postes de Bardaï et Zouar.

Goukoumi

17 février 1978 : prise de Faya-Largeau par les forces du FROLINAT.

Février 1978 : signature d'un accord séparé entre Hissène Habré, chef des FAN (Forces Armées du Nord) et Félix Malloum à la tête des FAT (Forces Armées Tchadiennes), qui le nomme Premier ministre.

Hiss

Avril 1978 : progression des troupes du FROLINAT de Goukouni Oueddei vers N'Djamena, mise en place des contingents français soutenant le pouvoir central.

Janvier-février 1979 : rupture entre Félix Malloum et Hissène Habré qui quitte le gouvernement, après la guerre de N'Djamena qui a duré plusieurs jours entre les FAN d'Habré et les FAT de Malloum ; rapatriement des étrangers et des familles de coopérants vers Libreville par les troupes françaises par Transall.

Février-mars 1979 : violents combats dans tout le pays, lutte pour le pouvoir entre les troupes du FROLINAT de Goukouni Oueddei et les FAN de Hissène Habré.

10-16 mars 1979 : conférence de réconciliation nationale à Kano (Nigeria), Goukouni Oueddei est nommé Président du Conseil d'état provisoire, démission de Félix Malloum.

3-11 avril 1979 : deuxième conférence de réconciliation nationale à Kano.

29 avril 1979 : Loi Mohamat Chouad du Mouvement Populaire de Libération du Tchad (MPLT) devient Chef d'état.

Mai 1979 : apparition massive des FAT sécessionnistes du colonel W.A. Kamougué dans le sud du pays.

Août 1979 : lors d'une rencontre organisée par le gouvernement nigérian, signature d'un accord à Lagos entre Oueddei, Habré et d'autres leaders d'opposition (pas moins de onze tendances politico-militaires y participent), un gouvernement d'union nationale de transition (GUNT) est formé sous la présidence de G. Oueddei, Hissène Habré assume les fonctions de Ministre de la défense, le colonel W.A. Kamougué, chef politique reconnu de la population du Sud devient Vice-président. La Libye, tenue à l'écart des accords de Kano et de Lagos, attaque le nord du Tchad.

Kamougu

1980 : Hissène Habré, qui reproche à Goukouni Oueddei ses liens avec l'agresseur, se retire du GUNT, ses FAN qui ont été rejointes par une partie des FAT, s'emparent de plusieurs quartiers de N'Djamena.

1981 : après que Goukouni Oueddei ait annoncé la fusion de son pays avec la Libye, une force d'interposition est constituée au sommet panafricain de Nairobi et intervient militairement avec l'appui de la France.

1982 : Hissène Habré est reconnu chef de l'État tchadien, Goukouni Oueddei forme un gouvernement rival dans le Nord que les Libyens occupent toujours en partie.

Date de dernière mise à jour : 10/04/2020

Commentaires

  • Frédéric Borne
    • 1. Frédéric Borne Le 03/11/2021
    Mon père était sur place avec deux Sky de la GP pour aider les contractuels français … en juillet les pilotes opérationnels étaient Grosjean, Fayolle, Borne, Gras , et Léonet… Sarcife a fait l'évacuation du zouar et après ils ont tout détruit avec les Sky…

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