La dune rose de Ouargla

À Ouargla, j'étais tombé sur une figure de légende, le Cne Bernard Justin, dit Mermoz. C'était une figure. Il avait fait des années, des années d'escadrille de Sahara. Sur le Sahara, c'était un véritable sorcier. Il était capable de le traverser en sachant où il était, sans une carte. C'était un grand ancien, parce qu'en 1932 il avait fait partie du fameux 1er Régiment d'Aviation d'Afrique, basé à Hussein Dey, sous les ordres du célèbre Colonel Weis. Avec leurs Breguet 14 et leurs Potez 25, à l'époque du grand Laperrine, ils avaient traversé le Sahara.

J'étais donc en escadrille et Bernard Justin m'avait donné des conseils formidables, en particulier au point de vue météo. Les gens qui connaissent Ouargla - il y en là - vous vous souvenez : au nord de la piste, la piste nord-sud, il y a ... c'est curieux : le désert est jaune, au nord de la piste il y a une dune rose. D'ailleurs au lever du soleil et au coucher, c'est merveilleux. D'accord, quand vous avez deux ans de désert... ! C'est merveilleux à voir, c'est formidable. Bernard Justin m'avait dit :

- « Quand au petit matin, t'as la biroute qui bouge pas, il n'y a pas de vent, Quand tu verras le sommet de la dune rose qui fume - il n 'y a pas un pet de vent - méfie-toi, c'est une méchante tempête de sable dans la journée ».

Et j 'ai pu le constater, à l'époque j'étais à Ouargla sur Noratlas, ligne régulière sympa : Alger, Ouargla, Fort Flatters. On bouffait à Fort Flatters, on rentrait. 7 h 30 de vol dans la journée. Pour un gars comme moi, c'était de la bibine. Je faisais travailler le copi, c'est normal, il fallait qu'il prépare le CIET. On va à la météo le matin à Alger, le gars nous dit :

- « Grand beau temps sur le Sahara, 1/8ème de cirrus ».

On arrive donc à Ouargla de bonne heure, c'était une ligne qui décollait de très bonne heure, et pendant que l'escale s'occupe à décharger, instinctivement, je regarde la dune et je vois la dune qui fumait ; il n'y avait pas un pet de vent. Oh ! Je me souviens des conseils du père Justin.

Je fonce à la météo, d'habitude, on n'y allait jamais, on passait... Et là je tombe sur un maître principal de la marine. Son contre-torpilleur avait dû louper l'embouchure de la Gironde... Il était à Ouargla... Très marin ! Je lui dis :

- « Voilà, je m'inquiète, que pensez-vous de la situation ? Je fais la ligne, je crains pour cet après-midi une tempête de sable ».

Il me sort la même protec météo qui était arrivée par télétype et me dit :

- « Non, non, non, 1/8ème de cirrus, etc »

Devant mon insistance, il me dit :

- « Mon capitaine, qu'est-ce qui vous fait craindre une tempête de sable ? »

Et moi je lui dis :

- « La dune rose fume, c'est mauvais signe ».

Je n'oublierai jamais le regard qu'il m'a jeté. Il a dû se dire : ils ne sont pas sérieux dans l'Armée de l'air. On confie un Noratlas avec 30 passagers à un fou, un type complètement fou ! Il m'a pris par les épaules et m'a raccompagné en disant :

- « Mais non, mon Capitaine, ne craignez rien, il ne se passera rien »

On repart sur Flatters. On se pose à Flatters et je me souviens d'un détail. Justin, on l'appelait Mermoz parce que lui aussi vouait une véritable admiration à Mermoz : il avait toujours dans sa poche les photos de sa femme et de ses gosses, et de Mermoz. Il m'avait dit :

- « Tu vois, quand au Sahara tu te poseras sur un terrain et que, de bonne heure le matin, tu as déjà un vent fort des 240, méfie-toi, c'est un méchant vent de sable, qui se prépare ».

On se pose à Flatters. Effectivement, il y avait déjà du 20/22 nœuds. Je dois dire que l'équipage, qui pourtant me connaissait bien, qui m'estimait, commençait à être inquiet au décollage d'Ouargla en disant :

- « Le vieux... il serait temps qu'on le ramène en France, il a des idées fixes ».

Je vois le chef d'escale, je lui dis :

- « Vous avez beaucoup de choses à me donner »
- « On a ça, ça, ça ».

Le Nord, ça arrache au décollage. J'avais dit au mécano qu'il me fallait 1.000 litres d'essence de plus parce que ... Tu le sais mieux que quiconque, toi qui es pilote de ligne, vieux soldat. En France il fait mauvais à Pau, on va se poser à Tarbes, à Toulouse, etc... mais au Sahara, morne plaine... Je dois ajouter qu'à cette époque là, le GMMTA en ligne régulière voulait travailler un petit peu à la civil ; c'est à dire que l'on avait des fiches de ligne avec l'horaire, le chargement, tant de tonnes, etc. Et les pleins, ils prévoyaient un déroutement Flatters - Ouargla, mais pas plus. Je dis donc au mécano :

- « Tu me fais mes 1.000 litres ».

On va pour décoller sur une piste roulée (ce n'était pas une piste en dur). Le Nord s'arrache et on trouvait qu'au décollage il peinait un peu. Il y avait des dunes au bout avec des arbres, pas des cyprès, ni des pins maritimes, c'était des palmiers. On passait plus près que d'habitude.

On grimpe à 10.000 pieds et là, je vais pour clôturer sur 119.7 avec Flatters et le gars me dit :

- « Je vous signale : vous avez décollé au bon moment. Je vous signale une tempête de sable. Ce n'est même pas la peine d'essayer de vous poser. Je ne vois pas les Dakota qui sont à 50 m sur la piste devant la tour ».

Tempete massive

Au même moment, j'entendais un DC-4 d'Air Algérie - et pourtant, eux travaillent à la piastre - qui disait qu'après trois tentatives il rentrait à Alger. Trois tentatives à Toughourt. J'entendais une patrouille de T-6 qui n'était pas à l'aise du côté de Biskra et rentrait de mission avec les réservoirs get get, et la tempête de sable touchait aussi Biskra.

Parce que le vent de sable peut être localisé, mais la tempête de sable, c'est souvent une bonne moitié du Sahara ; ça arrive rarement, mais c'est souvent une bonne moitié du Sahara qui était touchée. Et à Alger, ça commençait à frétiller du croupion, ça commençait à fouetter parce qu'ils savaient très bien que je n'avais pas assez d'essence pour aller ailleurs et :

- « Quelles sont vos intentions ? »
- « On va sur Alger ».
- « Mais le carburant ? »
- « Ne vous inquiétez pas, on rentre sur Alger ».

On se pose. À l'arrivée, il y avait tout l'état-major de l'escadre...

- « Adias, on se faisait du souci... »

Je leur dis :

- « La dune rose... »

Alors, j'en avais mis plein les poches. Ils m'ont regardé. Il a fallu que je leur explique encore une fois ce que c'était que la dune rose. Bon. Très bien. Félicitations. On le dira à la réunion PN, ça peut leur servir.

Presque à ce moment, le mécano me dit :

- « Vous savez, mon Capitaine, on pouvait aller jusqu'à Istres... Vous m'avez dit de mettre 1.000 litres, J'en ai mis 1.800 ! »

J'ai compris pourquoi l'avion était si lourd au décollage...


Jean ADIAS

Date de dernière mise à jour : 12/08/2020

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