La dernière b.a. du Sgt Dadou

Gérald Dadou est né à Paris le 4 juin 1925.

Bachelier, il s'engagea dans l'Armée de l’air. Admis dans le personnel navigant, il fut dirigé sur le centre de préparation du personnel navigant à Casablanca. Puis, ce fut le grand départ pour tes USA via Oran.

Inclus dans le 20ème détachement (150 élèves au départ mais à peine 80 à la fin du stage), le Sgt Dadou, avec 250 h de vol, était breveté pilote le 20 décembre 1945.

Dadou sur t 6
Gérald Dadou sur T-6 aux USA (SHAA)

Retour en France où, après une courte permission, il fut affecté à l'école de mitrailleurs-navigateurs-bombardiers de Cazaux. Missions sur Anson puis sur Wellington. Volontaire pour toutes les missions, il est confirmé de jour et de nuit, et classé apte à piloter les avions lourds de guerre. Pendant deux ans, il accumule les heures de vol.

En juin 1948, il est affecté à l’ELA 52, en Indochine à Saïgon, où il arrive le 10 août 1948. Mais il est déçu car il n'y a en Cochinchine que des Siebel, des Morane 500 et des Nord 1000, alors qu’il vient de quitter le Wellington.

Ms 500
Morane 500, ex Fieseler "Storch" (Patrice Gaubert)

Bien que plus jeune pilote, il fait néanmoins en une semaine 7 évacuations sanitaires en 20 h de vol.

Le Cdt de I’ELA 53 du Tonkin a besoin d'un renfort de pilotes. Le sergent Dadou se porte volontaire pour aller à Hanoï, et le 18 août il arrive à Bach-Maï.

Dans sa nouvelle affectation il s'attache à exécuter toutes les missions que peuvent demander les postes isolés et, rapidement, sa popularité s'étend dans tout le groupement nord-ouest.

Le 30 août, décollant par un temps douteux pour Sam-Neua, poste qu'il ne connaissait pas encore, il a une panne de moteur, fait demi-tour et se pose sur la DZ de Moc-Chau, où, par manque de chance, il heurte un tas de pierre et casse l'avion.

Il y reste quelques jours et, contre l'avis des autorités du poste, il participe aux patrouilles et aux embuscades avec les fantassins, de jour et de nuit.

Après cet intermède, il part en colonne, rejoint le poste de Yen-Chau à deux jours de marche et se rend au terrain de de Son-La où un Ju-52 le ramène à Hanoï.

Il repart le lendemain en mission, le mauvais temps ne l’arrête pas mais la chance ne l’accompagne pas.

Le 3 septembre, après un voyage exécrable dans le brouillard, la pluie, tantôt en PSV, tantôt en rase-mottes, il arrive au terrain de Laï-Dong où il doit charger des blessés. Gêné par la mauvaise visibilité, il rate son atterrissage et casse l'avion.

Le soir même, il emprunte l'avion d'un commandant venu faire une enquête et le lui ramène à Laï-Doñg après avoir exécuté l'évacuation qu'il avait à faire.

À partir d'octobre, profitant du beau temps, il vole le plus possible afin d’acquérir une parfaite connaissance du pays. En 5 mois de séjour, le Sgt Dadou totalise 76 missions de guerre dont 42 évacuations sanitaires. 75 blessés lui doivent la vie. 

Mais le terme approchait où l'estime allait céder la place à l’admiration, car il allait parcourir, seul, un chemin ignoré de ses camarades, un chemin qui fut son calvaire.

Le 21 décembre 1948, un détachement du poste de Ban-Puio, en zone d'infiltration vietminh, tombe dans une embuscade. Le combat va jusqu'au corps à corps, les Viets lâchent pied et s'enfuient. Mais il y a un tué et, après une marche épuisante, 7 blessés dont 5 gravement atteints, rejoignent le poste.

Le 25 Hanoï est averti et les évacuations sont prévues pour le lendemain. Mais le 26 il pleut, les nuages lourd et gris traînent au ras du sol déversant des trombes d'eau et partir dans ces conditions est impossible.

Les trois pilotes, Lt Bernard, Sgt Roux, Sgt Dadou, désignés pour leur connaissance du pays rongent leur frein. Et le 27 commence comme le 26 quand, dans l’après-midi, le voile se déchire. L’amélioration n'est peut-être que locale, qu'importe, le passage doit être tenté et 3 Morane 500 prennent le départ.

En droite ligne Ban-Puoi est à 180 km, mais le plafond est si bas que le Lt Bernard décide de faire le tour par le Fleuve Rouge soit 70 km de plus, mais ils peuvent être faits au ras de l'eau et c'est d'ailleurs le chemin habituel par mauvais temps.

Enfin les Morane passent et se posent sur la petite bande de Ban-Puoi où, depuis 3 jours on les attend. Les blessés, qui depuis le 21 n'ont eu que des soins rudimentaires, sont chargés dans les avions.

Le Lt Bernard avec un blessé, a des ennuis de mise en route. Le Sgt Roux décolle le premier avec deux blessés, puis le Sgt Dadou avec deux blessés également : le Caporal-Chef Perrin, français, et Ie tirailleur Lo Van HO, vietnamien. 10 minutes après les autres, le Lt Bernard décolle à son tour.

La solution la plus prudente est de suivre la Rivière Noire et le Fleuve Rouge, Les blessés délirent, l'odeur épouvantable de la gangrène lui parvient, ils ont déjà tant attendu. Arrivé à Hoa-Binh, le plafond est inférieur à 100 m : Dadou, passé par Hoa-Binh, coupe à l'est vers le col de Kem, ce qui lui permet de gagner 20 mn, et voilà la vallée qui monte vers le col, et, au-delà de celui-ci, il sait trouver le pays plat, la rizière et Hanoï. Il arrive jusqu'au col, mais il trouve le mur de nuages, le passage est bouché, la vallée est très étroite, la pluie le gène. Il fait demi-tour et accroche la montagne, évite le capotage et pose son avion sur une pente à 45°.

Il est 17 h 45, il est en zone rebelle à 25 km du poste français le plus proche.

Dadou applique les consignes : il sort de l'appareil les deux blessés qui sont à l’agonie, les étend à l'abri d'un buisson et met le feu au Morane.

La suite : sur un fragment de papier il écrit :

- « Crash 17 h 45. RAS. Aucun des deux blessés ne peut faire un pas. Je pars reconnaître le coin. La nuit tombe. Je ne retrouve pas l'avion. Enfin au bout de 2 h, je rejoins. Je me couche à côté d'eux. Il fait froid, il pleut, la gangrène dégage une odeur impossible, l'un a fait dans ses couvertures, ils délirent tous les deux »

À Hanoï, où les deux autres Morane sont arrivés, c'est l'inquiétude. Dès le 28 les recherches commencent : les rives du Fleuve Rouge, de la Rivière Noire sont fouillées. Le temps est toujours aussi mauvais, les montagnes restent invisibles. Un renseignement venu d'Hoa-Binh indique que 3 Morane sont passés : 2 d'abord à 17 h 30 et le 3ème 10 mn plus tard. À Truang-Ha, 50 km au nord d'Hoa-Binh, on n'a entendu que 2 appareils à 10 mn d'intervalle.

Pas d'erreur, Dadou a tenté le passage au col de Kem.

Pendant 2 jours le col reste caché, les recherches sont interdites. Dans la journée du 30, enfin le plafond s’élève et l'avion de Dadou est découvert. Sitôt le renseignement parvenu, deux colonnes quittent Hoa-Binh et Xuan-Mai et convergent vers le col de Kem.

Revenons au Sgt Dadou, couché près de ses malheureux blessés sous la pluie incessante, le froid, le brouillard. A-t-il passé 2 ou 3 nuits attendant leur dernier souffle pour enfin songer à lui et tenter de gagner Hoa-Binh ? Nous ne le saurons jamais.

C'est le 31 décembre à 9 h que la colonne partie d'Hoa-Binh trouve le cadavre du sergent Dadou, que la mort n’a pas encore raidi. L'examen médical dira :

- « Décès vers 6 h du matin dû à la fatigue, à la faim, au froid, à l'épuisement ».

La somme de souffrances capables en 3 jours de tuer un homme jeune et robuste comme lui est difficilement inimaginable. Il est bon d'ajouter que les Viets étaient passés par là.

Un vibrant hommage a été rendu au Sgt Dadou par le Gal Bodet, qui s'y connaissait en hommes.
 

Robert FLEURY

Date de dernière mise à jour : 11/04/2020

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