L'A-320 et moi (1/2)

Après une carrière de pilote dans l’Armée de l’air, l’auteur est devenu Pilote de ligne. À l’époque de ce récit, il était Commandant de bord à Air France.

Sur B-737 on finissait par s'ennuyer un peu par contre au secteur A-320 ce n'était pas la même chose, l'ambiance était plutôt morose, on racontait des histoires invraisemblables à son sujet, personne ne voulait être affecté sur ce merveilleux avion.

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L'Airbus A-320

Pour attirer du monde la Compagnie avait proposé un amortissement de qualification de un an, ce qui permettait, théoriquement, de changer d'affectation à l'issue.

Je me décide donc d'y aller, juste pour voir. C'est ainsi que je me retrouve un lundi matin à Toulouse chez Aéro(dé)formation pour la qualif A-320.

Que de changement par rapport aux avions américains, ce n'est même pas « Monkey see, monkey do » c'est « Monkey see, monkey DO NOT touch »

Après quelques péripéties je suis enfin lâché. Pendant les premiers mois d'exploitation l'avion astiquait l'axe Paris-Düsseldorf-Berlin et retour, autrement on s'aventurait dans des terres inconnues !

Dans cet avion il ne se passe pas grand-chose, rien ne bouge, les manettes de poussée sont dans des crans.

À l'atterrissage, la sortie automatique des aérofreins n'est signalée que par une indication fugitive sur un écran. C'est ainsi que lors d'un vol d'instruction j'étais assis sur le jump seat je m'aperçois qu'à l'atterrissage deux paires de spoilers ne sont pas sortis. Consultation du manuel, verdict :

     - une paire de spoilers "INOP", pas de pénalisation perfo.
     - deux paires de spoilers "INOP", procédure "TBD" ce qui veut dire en bon gascon To Be Defined !

Réaction de l'instructeur :

- « Bof ! »

Finalement la Compagnie a décidé de se lancer sur le réseau moyen courrier, c'est ainsi qu'un jour à Amsterdam, un pax "frequent flyer" s'exclame :

- « Ah c'est le « Ville de Barcelone, je l'ai pris l'autre jour et au décollage il y a de la fumée dans la cabine »

II n'avait pas menti.

Un autre jour toujours à Amsterdam, à 1.500 pieds en montée : "GONG ! ENGINE BLEED FAIL" et à la suite, la procédure à appliquer.

Le copi me regarde pour savoir si on applique la procédure qui consiste à fermer la bleed valve concernée, ce qui sur un bimoteur n'est pas sans conséquence entre autre sur le dégivrage et autres accessoires.

Après une rapide réflexion, on est en ciel clair on ne va pas se priver de la génération pneumatique, voilà ce que l'on va faire :

- « On va fermer la bleed, on va laisser le bazar se calmer puis on va rouvrir cette bleed. C'est OK pour toi ? Allons-y. »

Quand nous avons réinitialisé la bleed elle a fonctionné normalement.

Cet avion est bourré d'ordinateurs et quand ça bug il suffit de taper "CTRL ALT SUP" et bien souvent cela marche.

Un autre jour en finale piste 28 à CDG, train sorti, volets full, pressions hydrauliques OK, vitesse stabilisée : "GONG" !

Problème avec un aileron, regard interrogateur du copi ? Je secoue un peu les ailerons et lui dis :

- « Le bazar vole normalement il y a une piste devant, on pose la chose et les mécanos s'en débrouillent. »

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Petit à petit ma méfiance s'est établie et je me suis mis à appliquer le principe du président Reagan :

- « Trust, but verify ».

C'est ainsi qu'un certain soir de décembre je suis prévu de faire un aller-retour Munich. Je m'inquiète de l'historique de cet avion et je vois que trois ou quatre jours avant j'avais volé sur cet avion sur un aller-retour Copenhague. L'avion était tellement mal en point que j'ai dû convaincre le copi de rentrer. Cet avion est resté les trois ou quatre jours au hangar.

Je téléphone au contremaître au hangar et je lui demande quels sont les soins qui ont été prodigués à mon coursier du jour. Réponse :

- « Je ne sais pas, c'est un chantier Airbus, je ne sais pas ce qu'ils ont fait. »

Je lui fais confirmer quand même que l'avion est en état : pas de problème tout va bien.

Arrivée à l'avion, le responsable de l'escale :

- « Tout va bien commandant ? On embarque dans dix minutes ? »  
- « Stand-by »

Je vois un mécanicien qui m'a l'air embarrassé avec le log book (le carnet d'entretien de l'avion) :

- « Un problème Monsieur ? »
- « Euh ben voilà sur votre avion les voyantes "BATTERIES OFF" ne sont pas alimentés ! »  
- « Ah bon et pourquoi ? »
- « Ben voilà nous n'avons pas l'appro » (l'approvisionnement) 
- « Que cela ne tienne est-ce que le cas est prévu dans la "MINIMUN EQUIPMENT LIST" ? »
 - « Euh, justement non »
- « Si je comprends bien vous voulez que je prenne en compte cet avion qui n'est pas en état de vol ? »
- « Non non, commandant, mais le problème est qu'il faut que je fasse monter du hangar les électriciens pour qu'ils viennent souder les cosses de ces voyants et comme c'est l'heure du casse-croûte, cela va prendre du temps. »

On bloque l'embarquement sur ordre et on attend.

Bien entendu les électriciens sont arrivés en rechignant.

- « Bon il faut qu'on coupe toute l'alimentation électrique et qu'on arrête l'APU. »
- « Pas de problème on vous confie la chose et travaillez à votre aise. »

N'ayant rien de particulier à faire je fais une inspection extérieure de l'avion et j'aperçois un suintement sous l'avion je dis c'est vraisemblablement la pluie qui dégouline mais en regardant de plus près je m'aperçois que le suintement provient d'un drain.

 J'appelle le mécanicien et lui demande :

- « C'est de l'eau, du carburant ou de l'urine ? »
- « C'est de l'eau commandant »
- « Et d'où cela provient-il ? »
- « Je ne sais pas, il faut décharger les conteneurs bagages et démonter les trappes du plancher »
- « Faites donc et vous me direz ce qu'il en est. »

Diagnostic de l'homme de l'art :

- « C'est une fuite sur le robinet de vidange des eaux potables. »
 - « Je parie que vous n'avez pas l'appro ? »
- « Attendez, je vais me renseigner »

Bien entendu pas d'appro.

- « Je parie que vous allez me proposer de mettre un bouchon pour neutraliser ce robinet ? »
- « Attendez, je vais me renseigner … oui c'est ce que l'on propose ! »
- « Je vous signale que l'on va à Munich, que là-bas il fait moins 8° et si l'APU ne veut pas démarrer, ce qui est assez courant, on ne peut pas climatiser l'avion, si ça gèle bonjour les dégâts ! »

Pas d'autre solution et comme aurait dit Mermoz : le courrier doit passer !

Finalement tout s'arrange, les pax bavarois bons enfants ne nous font pas trop la gueule, peut être espéraient-ils passer une nuit à Paris.

Nous voilà partis pour la Bavière.

Vario positif, train rentré et là grand bruit de courant d'air dans les trains. La page "LANDING GEAR" apparaît.

- « Les trains sont bien rentrés mais il y a quelques portes qui ne sont pas fermées ? »
- « On le ressort et on fait un deuxième essai ? »
- « Tu crois ? »
- « Allez, on va bien voir. »

Deuxième essai : idem.

- « Bon cela suffit pour ce soir, on rentre à la maison. »

Bien entendu à l'escale ils pensaient bien s'être débarrassé de nous d'où grande confusion, pas de navette pour rentrer.

- « Bon on ne va pas se laisser abattre, les pax n'ont pas eu le temps de manger je suppose ? Alors je vous propose de nous installer en classe affaires et de se taper la cloche ! »

Il y avait longtemps que je n'avais mangé autant de caviar !

Un autre jour, arrivée à Francfort. Bruits bizarres dans la cabine ! Genre interférences ?

Les mécanos de la Lufthansa, remarquablement efficaces, se penchent sur le problème et semblent l'avoir résolu et, avec un grand sourire de satisfaction, viennent me signifier la revanche de l'Allemagne sur la mécanique gasconne, et oh, misère, les bruits refont leur apparition, immense déception !

Pour ne pas les laisser dans l'embarras je leur dis :

- « Never mind, we go any way » et j‘ajoute :
- « Would you like to see something funny ? »

Regards intrigués yeux ronds, qu'est ce qu'il va nous montrer ?

À ce moment je place la clé de démarrage sur "START" et apparaissent de façon fugitive sur l'écran système les messages suivants :

- "ENGINE 1 FADEC A FAULT"
  "FADEC B FAULT"

- "ENGINE 2 FADEC A FAULT"
  "FADEC B FAULT"

Yeux de plus en plus ronds regards effarés et la conclusion :

- « Never mind we go anyway »
- « Good luck captain ! »

C'est ce jour là que j'ai réalisé que nous poussions le bouchon trop loin. Le problème était connu depuis quelque temps et serait résolu "at the very latest of september" selon le message Airbus. Ils avaient pris la précaution de ne pas préciser l'année !

Vous en voulez une autre ?

Retour de Francfort. Comme souvent à CDG on attend toujours le positionnement de la passerelle. Les pax, contents d'être arrivés sains et saufs en ayant évité une catastrophe et pressés de sortir, sont agglutinés devant la porte avant-gauche.

Ayant terminé la check-list, je sors du bureau pour saluer mes invités et à ce moment la chef de cabine me dit :

- « Je n'ai plus de musique d'ambiance dans la cabine »
- « Tu n'a plus de musique d'ambiance dans la cabine ? Nous sommes dans la mouise alors. »

Regards intéressés, peut être un peu inquiets, de mes invités :

- « Et ton panneau de contrôle ? »  
- « Il est bloqué »  
- « Et le voyant "MASTER CAUTION" du panneau ? »
- « Il est éteint »
- « Alors là nous sommes vraiment dans la M...de »

Regards de plus en plus curieux.

- « Je vais tenter quelque chose mais je ne te garantis rien »

On est sauvés le commandant va tenter une manœuvre délicate ! Le plus sérieusement du monde j'ouvre la porte des toilettes et tire la chasse d'eau ce qui déclenche le bruit caractéristique de la chute d'eau du Niagara.

Toujours le plus sérieusement du monde je ressors des toilettes.

- « Et maintenant ? »  
- « C'est toujours pareil »  
- « Alors là ma fille je ne peux plus rien pour toi »

Je ne sais pas ce qu'ont pensé les pax car la passerelle était en position, ils sont donc sortis assez rapidement je crois bien                             
 

Jacques BEAUDEAUX

 

Date de dernière mise à jour : 04/04/2020

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