Le jour où Kadhafi a failli bombarder la région PACA

C’était en 1978 environ, à un an près, au CDC (Centre de Détection et de Contrôle) de Lyon Mont-Verdun. Le chef contrôleur m’appelle avec une drôle de voix. Je vais en salle d’Ops où il me montre une piste cap au Nord, en Méditerranée, plein Sud de notre position.

- « Regardez mon colonel, il fait Mach 1.2 ! Ça ne peut-être qu’un Blinder libyen »

Aaaargh ! Effectivement, les Libyens avaient des Tupolev 22 Blinder depuis le début des années 70 et on en avait signalé au large des côtes italiennes. Toutefois, le méridien de Lyon passe plutôt par Alger que par Tripoli, mais au diable les détails stupides. Nous étions très excités. En effet, ce n’est que dix années plus tard, le 7 septembre 1987, que le camarade Menu, alors commandant les éléments français de l’opération "Épervier" au Tchad, allait en faire descendre un, avec un missile Hawk au-dessus de N’Djamena.

Blinder
Tupolev 22 "Blinder"

Le chef contrôleur me dit, si j’ai bonne mémoire :

- « J’habille cette piste en X-Ray (suspecte) et j’appelle le contrôleur du CODA »

Frémissement dans la salle : le contrôleur CODA (Centre d’opérations de la Défense Aérienne, à Taverny), allait-il lui-même informer la Haute Autorité de Défense aérienne ?

Le suspense n’a pas duré 2 minutes. C’est le contrôleur CODA qui nous appelle puisque grâce au STRIDA (Système de Traitement des Informations de Défense Aérienne) il avait vu la piste en même temps que nous. Malgré l’heure de la sieste (dans le contrôle, on mange et on boit bien...), il ne dormait pas du tout et a passé une brève eng… au chef contrôleur :

- « Arrêtez vos conn..., votre piste est virtuelle... »

Eh oui. Pour l’instruction des contrôleurs, le STRIDA permet de créer une ou plusieurs pistes virtuelles et de les faire évoluer. Un simple clic dessus aurait permis de voir que l’écho radar correspondant n’existait pas, mais personne n’avait eu ce réflexe.

Après enquête, un exercice d’instruction avait bien eu lieu une trentaine d’heures auparavant, donc avec une autre équipe, mais l’instructeur avait omis de “tuer” sa piste avant de partir.

Alors, la petite piste, infatigable, avait continué à Mach 1.2 au cap Nord… et avait fait le tour de la Terre dans le puissant système informatique du STRIDA. Tout pilote à l’époque savait qu’à Mach 0.X, son avion avait une vitesse sol d’à peu près X milles nautiques par minute. La petite piste volant à Mach 1.2 et la circonférence terrestre étant par définition de 21.600 nautiques, elle nous était revenue au bout de 30 h…

C’était la “caguade du contrôle !” 

 

Michel POCHOY

 

Origine du texte : "Le Piège" (n° 205 - Juin 2011)

Date de dernière mise à jour : 10/04/2020

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