J'ai volé sur Messerschmitt 262
Impressions de vol sur le monoplace
Le Messerschmitt 262 est un monoplace de chasse propulsé par 2 réacteurs Jumo 004 qui lui assurent une vitesse de 870 km/h, et une distance franchissable moyenne de 800 km, très variable avec l'altitude.
À l'époque des vols effectués en juin 1945, assez peu de renseignements précis avaient pu être réunis sur cet appareil. La propulsion par réaction n'avait pas encore inondé la presse technique et les avions allemands étaient encore un peu mystérieux. Les premières impressions à l'approche de cet engin furent donc : une vive curiosité mêlée d'un peu d'anxiété.
L'amphi carlingue habituel fut bien propre à procurer la confiance. En effet, les parois de la carlingue ne sont pas encombrées de cadrans, de manettes et de voyants comme celles des chasseurs classiques modernes.
En dehors des instruments normaux de navigation et de pilotage, ceux de contrôle des moteurs sont réduits à leur plus simple expression. Je place ici le souhait qu'un apparent progrès ne vienne pas, dans les années futures, compliquer la belle rusticité des réacteurs d'aujourd'hui.
Comment on met en route
Et cependant, la mise en route n'est pas simple et nécessite une cascade d'opérations bien mal adaptées au régime d'alerte des avions de chasse.
Il faut d'abord mettre en route un groupe d'aérodrome, lequel démarre électriquement un moteur de hors bord (placé dans le nez du fuseau) qui entraîne le réacteur qu'on allume vers 600 t/mn avec un carburant de démarrage (essence) pour finalement passer sur carburant de vol (gaz oil) vers 2.000 t/mn.
De l'extérieur, le bruit du point fixe est presque douloureux. C'est un mélange peu harmonieux et très amplifié de lampe à souder et d'écrémeuse.
De l'intérieur le bruit est normal ; en vol il est faible. Par suite de l'absence de mouvements alternatifs dans les moteurs il n'y a que peu de vibrations, ce qui augmente le confort.
Pas drôle, le décollage
Le décollage s'effectue laborieusement, il faut s'armer de patience. La puissance des réacteurs étant fonction de la vitesse et le profil spécial des ailes les rendant peu porteuses au régime de vol de décollage, ce n'est guère qu'après 1.200 à 1.800 m de roulement que l'on peut espérer enlever l'avion à pleine charge.
Les profanes sont souvent impressionnés par les vitesses atteintes en avion, et se demandent comment les pilotes peuvent diriger leur appareil et en encaisser les réactions.
Il faut bien avouer que la vitesse seule ne procure aucune sensation ; elle n'agit pas directement sur nos sens, sauf en vol rasant ; alors, la vue perçoit très bien la rapidité de défilement du paysage. En altitude, les yeux eux-mêmes sont impuissants.
Mais les variations de la vitesse en grandeur ou en direction, autrement dit les accélérations dues en particulier aux virages ou aux remous, agissent très fortement sur le corps humain. À l'engagement du premier virage on comprend vite par les efforts que l'on absorbe malgré un faible déplacement des gouvernes qu'il se passe quelque chose de nouveau.
Quoique les virages soient extrêmement peu serrés, on se sent immédiatement rivé au siège comme pendant les ressources sur les autres avions. Les "coups de tabac" sont très secs. Après un voyage de 45 minutes dans les remous de chaleur on ressent une lassitude assez forte. Il est impossible de voler sans être attaché sérieusement.
D'ailleurs, les constructeurs, qui sont tentés de calculer des avions à réaction relativement peu chargés au mètre pour améliorer les qualités de décollage et d'atterrissage, se voient tout de suite limités par les efforts que les ailes doivent absorber en air agité. Il est à craindre que l'on soit obligé de réduire par mauvais temps.
Les gouvernes n'étant pas parfaitement compensées, les commandes deviennent dures aux grandes vitesses et on a l'impression de sentir dans les membres la pression de l'air sur les surfaces mobiles.
De toutes façons, le pilotage est simple, même aisé, toute la difficulté réside dans la conduite des moteurs. En effet les moteurs à réaction allemands sont équipés de compresseurs axiaux à plusieurs étages qui ont un bon rendement mais admettent mal les variations de régime. Pour un régime maximum de 8.700 t/mn, il est interdit de descendre en-dessous de 6.000 t/mn sous peine de voir les moteurs se désamorcer.
Pas au point
Il en découle une souplesse d'emploi insuffisante pour un chasseur, ce qui peut amener à revoir les tactiques et même la constitution des dispositifs de patrouilles, et ce qui rend délicates les manœuvres d'approche pour l'atterrissage.
Lors d'un vol de terrain à terrain à 4.000 m et 650 km/h, à une certaine distance du terme du voyage, on réduit à 6.000 t/mn pour se mettre en descente. Mais la poussée est encore très forte à ce régime, la finesse de l'avion est toujours assez grande et on se retrouve à basse altitude en bordure d'aérodrome à 750 km/h.
Il est alors nécessaire de faire 4, 5 ou 6 tours de piste pour perdre sa vitesse et de sortir le train en haut d'une chandelle. Ensuite, il faut se présenter avec une vitesse relativement élevée pour l'atterrissage et ne réduire qu'à coup sûr, cette manœuvre étant irrémédiable.
Le pilotage reste facile jusqu'à la fin, il suffit de prévoir tôt les gestes à faire.
Le manque de souplesse d'emploi du compresseur axial a fait apparaître le compresseur centrifuge plus léger, très souple, mais d'un moins bon rendement et d'un maître couple plus important.
Le réacteur "Jumo 004" du Me-262
Les Anglo-Saxons ont mis remarquablement au point des réacteurs équipés pareillement. Il y a actuellement une concurrence sévère entre ces deux compresseurs. Il semble que le compresseur centrifuge doive l'emporter pour l'équipement des avions de chasse ; le compresseur axial étant mieux adapté aux conditions d'emploi des avions de bombardement et de transport.
Emmanuel BRIHAYE
Extrait d' "Aéro-Revue n° 25 du 19 avril 1946
Date de dernière mise à jour : 22/06/2020
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