J'ai une boule dans la gorge

19 juin 2017

Voici une expérience qui m’est arrivé avec un ami il y a peu et qui aurait pu se terminer mal … Nous sommes au alentours du 20 juin et nous devons partir à deux pilotes pour voir un ami sur une piste avion à environ 90 km de notre terrain de rattachement pour dîner avec lui dans un restaurant distant de quelques kilomètres et retour. Nous connaissons bien la région et nos expériences cumulées se montent à plus de 1.500 h, avion et ULM compris. Nous volons mon ami et moi très régulièrement depuis des années.

Nous décollons vers 18 h 00 et, juste avant, deux pilotes rentrant de la zone où nous projetons d’aller nous disent :
- « Il y avait un bon 30 kt de vent là-bas ».

Je pense :
- « Tiens bizarre, j’ai pas vu ça à la MTO et ici il n’y a rien ».

Chrono 1


Nous partons donc et arrivons 40 min plus tard avec effectivement un bon vent arrière d’au moins 20 kt. Lors du repas, je pose la question à mon ami :

- « On doit repartir à quelle heure ?
- « Quelle heure est la nuit aéro ?

On regarde une application iPhone bien connue … Qui donne la nuit aéro (coucher du soleil + 30 min). 

- Première erreur : je réponds à mon ami : 21 h 54 et je comprend que c’est le coucher du soleil donc je rajoute 30 min ce qui me donne donc 22 h 24. Or il s’agissait bien de la nuit aéro et non du coucher du soleil.
- Seconde erreur : dans la brouhaha du restaurant, et assez distrait, mon ami comprends que le chiffre que je lui donne correspond au coucher du soleil et il rajoute encore 30 min ce qui nous donne 22 h 54 !
- Troisième erreur de ma part : je retiens par commodité 23 h et je me dis que si nous décollons à 21 h au plus tard, il faut 50 min de vol sans vent et ça nous laisse 1 h de sécurité. Donc tout va bien. Nous restons donc sur un décollage au plus tard à 21 h.

Nous retournons au terrain et nous décollons effectivement à 21 h  03. Des le début du vol on s’aperçoit que le vent n’a pas faibli, au contraire : il y a un bon 30 kt de face pile sur notre cap. Mais peu importe, on a de la marge … Croyait-on !

Le vol est malgré tout agréable et on se permet de multiples altérations de cap pour se balader. On ne suit même pas de cap précis, on a les grands repères naturels de notre région que nous connaissons bien. Nous essayons de contacter le SIV pour avoir un code transpondeur, mais bizarrement ils ne répondent pas alors que nous les recevons très bien et nous savons qu’à cet endroit et cette altitude ça passe très bien. Nous n’insistons pas. Au bout d’environ 30 min, le vol dure plus que prévu et le GPS nous donne une arrivée 35 min plus tard.

Le soleil commence à baisser plus que nous le pensions et un doute commence à s’insinuer :
- « Dis, on se serait pas planté ? »

Je reprends mon iPhone et regarde à nouveau l’heure de la nuit aéro : quel c…  C’est 21 h 54 et pas 22 h 54 !

On comprends en même temps notre erreur. C’est pas trop grave, mais on est pas fier …Et puis comment a-t-on pu penser que le soleil se couche à 23 h même au mois de juin ? Il a fallut qu’on soit bien plus préoccupé par le repas que le vol … Cependant un rapide calcul nous indique qu’on ne sera déjà plus dans les clous réglementaires pour la nuit aéro.

On met la pleine puissance continue, mais le GPS nous indique une arrivée que 2 minutes plus tôt, pas plus. Le vol se poursuit et là plus question d’altération de cap. On essaie encore de contacter le SIV pour demander une directe sur le terrain à travers une zone militaire qui est presque tout le temps activée, même la nuit. Pas de réponse. On insiste pas. Et puis de toute façon le cap direct nous donnait que 4 min d’arrivée théorique plus tôt et il aurait fallut prendre 2.000 pieds de plus en raison du relief. Et dans cette zone le vent nous aurait brassé bien plus. Donc sur notre position, le gain de temps aurait été négligeable, voire négatif.

Le soleil est déjà invisible et je commence à peiner pour voir les instruments de bord car ils ne sont pas éclairés. La lecture est facilitée par mon ami qui éclaire avec son iPad les instruments. Le vent ne faiblit pas. On décide de garder une altitude de sécurité conséquente pour avoir le maximum de lumière et de la sécurité supplémentaire car la région est montagneuse. On se donne une altitude de sécurité de 5.500 ft. C’est la max admissible car au dessus il y a une TMA. On a aucun mal pour la nav, mais une couche de nuages haute baisse encore la luminosité.

Là, je ne sais pas pourquoi, mais je repense aux circonstances d’un accident qui s’est produit dans des conditions similaires. J’ai une boule dans la gorge… Je sais que pour rentrer plus vite on devrait descendre, car en altitude le vent est plus fort, mais on décide de retarder encore la descente par sécurité, même si grâce à l’iPad on disposait d’une représentation du relief.

Nous n’avons ni l’un ni l’autre d’expérience en VFR de nuit, même si nous avons déjà fait des tours de pistes à la limite de la nuit aéro sur une piste éclairée et dans des conditions de très bonne visibilité ; l’appareil n’a ni horizon ni bille aiguille. Au loin on commence à distinguer une fine couche de brume près du sol. La tension commence à monter : la piste n’est pas éclairée et elle est située dans une zone rurale où les lumières sont rares.

Mon ami me dit :
- « On va arriver à atterrir ? »

Au fond, je ne sais pas et nous envisageons un dégagement sur une zone où on est sur qu’il n’y a ni relief ni nuage bouchant encore la visibilité.. On fait rapidement le point : check pétrole, heure d’arrivée estimée, fréquences des aéroports dont les pistes sont éclairées et SIV.

On envisage de se dérouter sur un terrain éclairé proche (mais est-il encore ouvert ? Et il est à 15 min de vol supplémentaires) voire sur l’aéroport international le plus proche qui lui est certainement encore en service mais qui demande encore 20 min de vol supplémentaires. Je dis a mon ami :
- « On les appelle ?  »

Il me répond que c’est plus la peine et que on le fera que si on doit aller atterrir sur l’aérodrome. Au fond, je préfère éviter la GTA demain matin… Voire ce soir.

Au niveau pétrole, on a largement de la marge mais il faut se décider vite, car le déroutement éventuel et la descente doivent intervenir dans moins de de 2 min et on décide que si on doit se dérouter il faudra le faire sur l’aéroport international où nous serons sur d’avoir la piste éclairée.

- « Demain on passe dans le journal »

Cette perspective ne nous enchante guère mais je me dis que c’est toujours mieux que d’y passer pour cette raison plutôt que pour s’être crashé.

Mais dans la direction de notre terrain c’est le noir presque complet. Je décide que dans tous les cas, on descendra au dernier moment, pour ne pas risquer de collision. Et je me dis … Pourvu qu’on ne rentre pas dans un nuage, parce que je sais que là l’espérance de vie se compte en secondes…

Mon ami me dit :
- « Tu te le sens » ?

Je réponds oui, mais c’est l’arrondi qui m’inquiète on y verra rien. Comme je suis celui des deux qui a la meilleure vue, il est décidé que c’est moi qui atterrirai. Je décide de tenter notre terrain de rattachement et de commencer la descente sur une très longue finale. Je m’alignerai sur les pistes goudronnées et non la bande en herbe, car je pense qu’étant noires elles seront plus visibles et me faciliteront l’arrondi.

Il fait désormais complètement noir dans la cabine et dehors également. Je vois furtivement par la fenêtre côté gauche de l’appareil des bribes de nuages alors que devant je ne vois rien. Je suis très anxieux à l’idée de rentrer dans un nuage. L’horizon se confond avec la terre. Le vent est brutalement tombé, mais je vois des grandes étendues sans étoiles, donc je sais qu’il y a des nuages. Je voudrai bien anticiper et me préparer mentalement au cas où cela arriverait mais la charge de travail qui consiste a deviner l’horizon est trop importante.

Tiens elle disait quoi la MTO sur le plafond ? Ben je ne sais plus, parce que je l’avais bâclée… Quatrième erreur !

Pour garder ma vision nocturne (ne pas être ébloui par la lumière de la tablette) et me concentrer sur l’extérieur, je ne regarde plus les instruments. C’est mon ami qui les éclaire avec sa tablette et m’annonce les vitesses, symétrie, et taux de descente. Le guidage vers le terrain se fait uniquement avec la tablette, désormais on y voit plus rien, le ciel au dessus de nous est presque sans étoiles. Je n’ai aucune idée de l’altitude à laquelle se trouve la couche, faute d’avoir pris le temps de mémoriser la météo.

Le logiciel du GPS nous annonce 2 nm du terrain, mais toujours pas de visuel sur lui et je crains qu’il ne soit dans la brume près du sol que j’apercevais. Le logiciel, qui représente le carte au 1/500.000, m’indique que je suis dans l’axe de la piste principale, c’est déjà ça. Grâce à la représentation graphique du relief, je sais également où nous sommes, car je connais très bien la région, mais je suis conscient de la marge d’erreur possible.

Puis le terrain se distingue enfin. Je suis pile dans l’axe et je décide d’atterrir sur l’herbe finalement, d’une part pour ne pas risquer de baïonnette au dernier moment (les pistes goudronnées étant 50 m à gauche) et puis parce que si je dois en faire un dur, autant que ce soit sur l’herbe. Mon ami continue à m’annoncer les paramètres et me sort tous les volets. On décide une approche à 80 pour toucher le moins durement possible. Je garde un peu d’altitude car je sais qu’il y a une barrière à 30 m du seuil de piste. Je ne la vois pas mais je distingue une étendue plane et un bâtiment sur ma droite que je sais être au premier tiers de la piste. Finalement l’arrondi se fait sans problème. Au fond je n’en ai pas fait, j’ai plutôt fait un rase motte à environ 40 kt, car je distinguais à peine le sol et je dois dire que j’ai eu de la chance, d’autant plus que ce n’était pas mon appareil. On remonte la piste et on revient au parking avec largement plusieurs minutes après le coucher du soleil aéronautique et surtout avec un niveau de nuit assez fort (pas de lune, couche nuageuse et atmosphère laiteuse).

Bilan : une grosse frayeur rétrospective, une grosse honte à tout les deux d’avoir fait une erreur aussi grossière. Le fait d’avoir été deux pilotes à été une aide indéniable. Nous n’avons pas paniqué, mais on a été bien conscient d’avoir été à la limite. Le fait d’être deux copains nous a également permis de se repartir les tâches, de délibérer rapidement, sans concurrence et sans arrière pensée.

La nuit aéronautique est une limite extrême avec laquelle il ne faut pas jouer. Regarder la météo de façon distraite ne suffit pas même pour les vols locaux et pour des petites navigation et dans des endroits très connus. Dans notre cas, c’est une négligence en grande partie due à l’habitude de voler dans cette zone combinée à un excès de confiance. Nous passons tous les deux, mon ami et moi, pour des pilotes expérimentés et raisonnables et nous calmons parfois les ardeurs des autres pilotes de notre terrain. Mais voilà, ça nous est arrivé …

Il est probable que si cette aventure nous était arrivé seul et avec 50 h cela ce serait sans doute terminé différemment… !

En espérant que notre expérience puisse forger un peu la votre.

Bons vols

Auteur inconnu

Origine du texte : blog MENTALPILOTE

Date de dernière mise à jour : 24/04/2020

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