Interception réussie

Avec un Vautour II N ... à réacteurs à postcombustion !

À ma connaissance, un seul équipage de la 30ème Escadre de Chasse tout temps à l’époque tourangelle peut se targuer d’avoir réussi cet exploit.

En 1959 avec une équipe de mécaniciens chevronnés de l'Escadron 3/30 "Lorraine" spécialisés dans la rapidité d’exécution de la phase de décollage sur alerte, j’ai eu l’occasion de vivre un intense moment de frayeur.

Certaines de ces alertes étaient commandées directement par le CAFDA. C’est au cours de l’une d’elles que les faits qui vont suivre se sont déroulés. L’équipe que j’avais l’habitude de diriger était composée de deux mécaniciens avion, un radio, un équipement, un armurier.

Aux ordres du commandement, mon équipe fut mise à contribution dès l’achèvement des PPV effectuées tôt le matin. Un des trois avions fut retenu pour effectuer cette mission. L’avion désigné fut tracté sur le taxiway pratiquement en bout de piste afin de pouvoir décoller dans les délais les plus courts.

Installation equipage
Prise d'alerte : installation de l'équipage

J’étais assez fier de la confiance que m’accordaient mes chefs qui avaient été les premiers à apprécier les performances de mon équipe lors d’une coupe CAFDA à Colmar où nous avions réussi à faire décoller notre Vautour, du top radio au décollage train rentré, dans un laps de temps inférieur à celui des mécanos de la 13 avec leur Sabre F-86K pourtant monoréacteur.

À cette époque, ces alertes constituaient de véritables tests réels d’efficacité de mise en œuvre des aéronefs et confirmaient s’il en était besoin la maitrise de l’entraînement des équipages. Elles provoquaient de plus une véritable émulation au sein des trois escadrons de la 30ème ECTT. 

Une demi-heure avant l’alerte effective nous étions fin près, groupe auxiliaire de démarrage électrique branché, équipage en écoute radio.

Prise de parc
SO-4052 "Vautour" II N

Spécialiste du débranchement ultra rapide de la prise électrique d’alimentation de l’avion, je me tenais à l’emplacement de celle-ci située à droite à l’arrière de l’aéronef (vu de la place pilote) pour la débrancher dès la mise en fonctionnement effective des deux réacteurs afin de pouvoir refermer la trappe de visite comprenant deux dzus.

Dzus
L'un des modèles de "Dzus" utilisés sur "Vautour", qui nécessitait l'emploi d'un tournevis

Le groupe électrique permettant l’alimentation de l’avion se trouvait à droite, le manuel d’utilisation du Vautour prévoyait la mise en fonctionnement du réacteur gauche en premier.

Dans ce genre d’exercice bien rôdé, il fallait quand même refermer cette trappe en courant, l’avion prenant vite de l’accélération et ensuite plonger sous le fuselage puis sous le réacteur droit en pleine poussée (routine pour notre équipe).

Dans ces décollages, pour gagner le maximum de temps, le pilote mettait en fonctionnement les deux réacteurs pratiquement en même temps (en mise en œuvre normale le réacteur droit n’était mis en fonctionnement qu’après que le régime du réacteur gauche permettait d’assurer l’autarcie de l’avion en ce qui concerne l’énergie électrique et la pression hydraulique).

Le pilote, mon ami Lulu (il se reconnaîtra) était aux commandes. Tout était OK, avion sous tension, fébriles nous étions suspendus au top radio. Par sécurité, Lulu avait laissé les breakers d’allumage des réacteurs en position basse sur "Ventilation".

Au top radio, réaction immédiate du dispositif d’alerte, équipage et mécaniciens. Énorme sollicitation du groupe auxiliaire de démarrage électrique pour délivrer les 1.200 Ampère nécessaires au lancement d’un ATAR 101E3.

À droite, à l’arrière de l’avion, ma prise électrique bien en main j’étais, comme à l’habitude, prêt à refermer ma trappe de visite et à effectuer mon roulé-boulé sous le fuselage et sous le réacteur droit, en pleine accélération.

Dès la mise en route des deux turboréacteurs, le groupe électrique auxiliaire lançait les compresseurs jusqu’à 1.200 t/mn. Ensuite, la mise des gaz et l’allumage des bougies électriques devaient normalement jouer leur rôle, enflammant le kérosène. S’ensuivait la mise en accélération des turbines. Les deux manettes des gaz à partir de ces 1.200 t/mn avaient été poussées en avant pour atteindre la pleine puissance à 8.400 t/mn. La montée en régime ne se produisit pas et les deux réacteurs crachaient une énorme quantité de kérosène au niveau des tuyères.

À l’oreille, je réalisais immédiatement ce qui se passait, et me plaquais contre la queue de l’avion sans lâcher ma prise. Dans un réflexe de pilote chevronné, Lulu avait basculé les deux breakers vers le haut sur leur position "Allumage".

Et le double boum se produisit. Tout s’enflamma. La "postcombustion" venait d’être enclenchée. Les deux turbines encaissèrent sans coup férir, peut-être, une température T5 un bref instant vers les 800°, mais je n’étais pas aux commandes. 

Le souffle de l’explosion m’avait projeté à plusieurs mètres en arrière arrachant la prise que je n’avais pas lâchée. J’encaissais une sacrée température, les cheveux cramés, le treillis m’avait bien protégé le corps. Les deux réacteurs montèrent en régime.

Ne m’affolant pas, je me relevais et courais après l’avion qui commençait à prendre de la vitesse. Je le rattrapais facilement et réussissais en courant à fermer un seul dzus de la trappe de visite. Le Vautour roulait maintenant trop vite, je ne pouvais pas le suivre. Le souffle des deux ATAR en pleines poussées m’éjectait du taxiway.

Au final, je ne m’en tirais pas trop mal : quelques égratignures aux coudes et aux jambes et les cheveux un peu cramés.

Malgré cet incident, l’équipage avait assuré son décollage en un temps canon. Le boum de l’allumage du kérosène n’avait pas dû être perçu dans la cabine fermée avec la même intensité qu’à l’extérieur de l’avion.

Après cette chaude ambiance, les copains me congratulèrent. Rien de grave en fait.

Une chose comptait pour nous, la satisfaction du devoir accompli. Au retour du vol, nous avons apprécié que l’interception avait été réussie. 

Ce petit incident venait de démontrer la symbiose qui régnait entre navigants et mécaniciens au sein de cette escadre. Digne héritière de la 30ème Escadre de chasse de nuit, cette unité aux missions particulières, était animée d’une cohésion spéciale que lors de nos déplacements nous ne rencontrions pas dans les autres escadres de chasse de l’Armée de l’air. L’explication en était fort simple. Nous avions l’avantage d’être dotés d’avions biplaces, et ce depuis la création de la 30ème Escadre de chasse de nuit dotée de Gloster Meteor NF11. L’utilisation de ces appareils amenait par voie de conséquence la notion d’équipage. Cerise sur le gâteau, pour des missions bien précises, il arrivait pour des raisons pratiques que le commandement prenne la décision de faire voler un mécanicien en place arrière.

Récompense suprême pour un mécano bichonnant à l’année l’avion qui lui a été attribué. Privilège que nous enviaient les mécaniciens des autres Escadres de l’Armée de l’air. De ce fait les relations du personnel navigant avec les mécaniciens ne pouvaient qu’être toutes différentes.


Guy SUZE

Date de dernière mise à jour : 11/04/2020

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