French letters

À l'époque pilote au CEV, l'auteur est chargé des essais du Vampire n° 723 équipé d'un réacteur Nene, avion qui devait donner naissance au "Mistral".

Le 10 octobre, j'emmenais l'appareil à Marignane au cours d'un vol de 55 minutes pour une étape de 615 km à 9.000 m. Je n'avais jamais voyagé aussi vite ! Il poursuivit ses essais sur ce second terrain utilisé par le CEV. Toutefois non sans quelques incidents qui auraient pu se terminer en catastrophe, car la médiocre climatisation de sa cabine rendait très éprouvantes les montées rapides. Maulandi et d'Oliveira, entre autres, avaient perdu connaissance à haute altitude, et repris miraculeusement conscience après les évolutions désordonnées de la machine dont seuls se souvenaient les enregistreurs photographiques...

Puis ce Vampire n° 723 fut bientôt rejoint par les deux premiers assemblés sous licence par la SNCASE et dotés d'un réacteur "Nene". On les désignait par le surnom de "Vampire à oreilles" en raison des protubérances en saillie sur le capotage derrière la verrière, faisant office d'écopes par la nécessité de mieux alimenter le Nene, plus puissant que le Goblin d'origine. Finalement, les versions Mk 53 prirent le nom de Mistral.

Les essais d'armement débutèrent ensuite. Initialement consacrés aux canons de 20 mm, ils s'effectuaient en mer et à haute altitude. Mais, dès le début, au lieu des rafales attendues, chaque canon ne parvenait qu'à tirer un seul obus. On vit alors arriver Sautier et son équipe d'armuriers de Cazaux. Après de longs palabres et intenses cogitations, ils attribuèrent le défaut de fonctionnement des canons au froid extrême en altitude qui devait figer l'huile et bloquer le réarmement de la culasse.

Pour éviter cet inconvénient s'imposa l'idée de protéger la bouche des canons. Mais comment s'y prendre ? La solution devait concilier efficacité et effacement instantané pour autoriser un tir sans délai. On ne sut quel fut, parmi le groupe, l'obsédé sexuel qui trouva la bonne. À une époque où l'on ne badinait pas avec les mœurs, un adjudant fut lâchement désigné pour se rendre à la petite pharmacie de Vitrolles et acheter le nécessaire.

La suite nous fut contée par Mlle Ulysse, compatriote corse de mon épouse et qui, par pure coïncidence, était invitée ce soir-là chez nous.

Elle nous confia avoir d'abord été étonnée par le comportement de ce militaire qui insistait à faire passer tous les clients devant lui jusqu'à ce qu'ils furent enfin seuls. C'est alors que, très mal à l'aise, il lui demanda si elle avait des préservatifs.

- « Je compris sa réserve, commenta-t-elle, et discrètement en glissai deux sur le comptoir. Mais il en voulait beaucoup plus ! J'allais lui en chercher deux boîtes de vingt. J'étais perplexe, car c'était une demande peu fréquente et toujours limitée à un seul exemplaire. En outre, quand au moment de payer il réclama une facture, je fus prise de saisissement. Vous me connaissez, je ne suis pas spécialement bégueule, mais lorsque je lui ai demandé ce qu'il comptait faire avec cette facture, je l'entendis répondre »
- « C'est pour une séance de tirs... »
- « Oh ! Je m'en doute bien, le coupai-je. »

Effectivement, le pauvre adjudant accomplissait une mission dictée par le commandant lui-même. La facture réclamée devait évidemment servir de justificatif de remboursement auprès des services administratifs. Mais nous aurions été curieux de lire le libellé du bordereau réglementaire d'accompagnement, toujours rédigé par la très efficace Mme Collard et adressé à notre très strict directeur, M. Bonte.

L'expérimentation fut finalement couronnée de succès. Cependant, l'ingénieux dispositif n'eut pas l'honneur d'être adopté en série. Il lui fut préféré de très convenables manchons en bakélite, assurément plus dignes et de facture moins originale, mais certainement plus élevée... la facture !

Dommage tout de même, car les Britanniques, loin d'être manchots en humour, n'auraient pas manqué de saluer cette initiative qui pouvait les conforter dans leur préférence à désigner une capote anglaise par le vocable "french letter" tombé en désuétude, mais bien plus poétique que "condom".

Jean SARRAIL

Extrait de "Envols vers l'inconnu" (Éd : Éditions latérales - 2012)

Date de dernière mise à jour : 06/04/2020

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