Formation d'un pilote présidentiel

Compagnie Aérienne TAT European Airlines, Centre de formation de Dinard.
Quelle année ? Je ne me souviens pas très bien, disons dans les années 1995 environ.

Un matin, dans mon bureau, je reçois un fax du chef de secteur FKF28 de la compagnie : 

- « Devons effectuer la formation d’un équipage et de techniciens pour la présidence du Cambodge ASAP. »
- « Merci de me donner dispos pour cette formation. »
- « Dominique R… Chef de secteur FKF28 »

Je regarde mon planning, consulte mon collègue instructeur et définissons la date de début de stage de l’équipage et des mécanos.

Nous discutons un peu de cette formation qui est parfaitement rodée, mais, j’aimerais avoir plus d’infos sur l’équipage pour savoir sur quels types d’avions ils ont volé avant, afin, si besoin d’adapter la formation, comme c’est un ancien pays de l’Est, en équipage à quatre ou cinq…

Je demande donc, à Dominique R. les CV de ces deux pilotes que je reçois en retour. 

- Le Captain est le Lt-Général des forces aériennes de ce pays.
- Le First officer est pilote civil qui a volé sur différents types d’avions monomoteurs et a 150 h de B 737.

Au vu du CV du captain, c’est impressionnant (4 pages) : il a fait l’Armée de l’Air, l’US Air Force, volé bien entendu dans l’Armée de l’Air de son pays sur un tas de machines, guerre du Viet-Nam… mais un point retient mon attention :

Il a volé au Gabon sur HS-748, or, je connais cet avion, car, j’ai fait des formations dans ce pays pour sa compagnie nationale sur FKF28 et une année il y avait sur le parking de l’aéroport de Libreville un HS-478 immatriculé à Madagascar, et cet avion a eu quelques problèmes dont l’un m’a marqué : Il faisait la ligne Libreville-Malabo (Guinée équatoriale). Un jour au départ de Libreville le mécano qui en assurait le départ avait informé l’équipage que l’avion avait un problème de freins (sur cet avion, le freinage est assuré non par l’énergie hydraulique mais, par l’énergie pneumatique).

Pour le mécano, ainsi que pour la MEL, c’était un NOGO. L’équipage décide de prendre l’avion quand même et de faire le vol (on est en Afrique…)

Bien entendu l’atterrissage à Malabo s’est terminé par l’arrêt de l’avion dans l’aérogare ! Bon, pas trop de mal, le nez un peu enfoncé et l’avion est resté quelque temps sur le parking, le temps de sa remise en état.

Revenons à notre formation.

Un matin, j’ai l’équipage devant moi, en salle de cours à Dinard, et, surprise, il y a également quatre mécaniciens avec eux.

Que faire ???

Le Captain (Lt-Général) me dit très simplement qu’ils suivront les cours pilotes, ce sera suffisant, ils auront une assistance de notre compagnie sur place.

Je me présente, et leur demande de me décrire brièvement leur backgroud. 

- Pour l’OPL, c’est très simplement ce que j’avais lu sur son CV.
- Pour le Captain, il me décrit également son CV que je connais, et arrive à l’étape HS-748… puis, là, pendant la discussion, il me raconte l’arrivée à Malabo, et, avec un magnifique sourire asiatique il me dit :

- « Vous savez où on s’est arrêté ? »
- « Non… »
- « Dans le salon d’honneur de l’aéroport, on n’avait plus de freins de secours… »

C’est très difficile de ne pas rire, mais, ce sont des clients et, pas n’importe qui, ce seront les pilotes du Roi Norodom Sihanouk.

Les cours commencent : généralités avions, circuits électriques, hydrauliques… Et le premier vendredi après-midi, nos mettons en pratique dans le simulateur ce que nous avons étudiés dans la semaine.

Simu

Donc, étude et fonctionnement des différents circuits sur le tableau de bord, pannes, chek-lists…

Puis, des tours de piste pour se familiariser avec la machine. Bien entendu, le premier PF est le Captain.

- Mise en route, roulage…
- Décollage… et là… surprise, c’est un One man show, l’OPL ne fait rien, c’est le Captain qui fait tout, pilote, rentre le train, les volets…
- Montée vers 2.500 ft, vent arrière et dernier virage pour un touch and go…

Dans le visuel du simu, je trouve que la descente ne correspond pas du tout, pour moi, on va toucher bien avant la piste. Je regarde sur mon ordinateur de restitution et, effectivement la trajectoire de l’avion va nous faire toucher environ 500 m avant la bande.

Je ne dis rien, la descente continue, le captain pose l’avion, il l’arrête et se tourne vers moi en me disant avec son plus beau sourire, mais, pas stressé du tout :

- « Je crois qu’on s’est posé un peu avant la piste ! »
- « Oui, effectivement. »

Je suis un peu effaré par tout cela, heureusement je n’avais pas le motion du simu, nous étions en FBS (Fixed Base Simulator) donc, pas de sensations.

La séance continue, c’est au tour de l’OPL de prendre l’avion. Même chose, un one man show, le Captain n’a touché à rien, l’OPL a tout fait lui-même et il s’est même posé sur la piste (bien).

La séance se termine, mais, je suis quand même surpris par un pilote qui dit avoir plus de 10.000 h de vol et de voir ce qui s’est passé.

Nous sommes le vendredi en fin de journée, aussi, je rentre chez moi et je réfléchis…

Le lundi matin, avant le début des cours, je joins mon chef de secteur au téléphone et lui raconte la séance de simu du vendredi après-midi. Il est un peu abasourdi et me demande toutes les précisions sur cette séance.

Nous continuons donc la conversation et je lui demande pour le vendredi suivant qu’il m’envoie le Captain instructeur qui prendra la suite des cours après moi, ainsi que la phase simu avant les vols, pour assister à la séance que je dois faire afin qu’il comprenne un peu ce qui l’attend.

Nous continuons les cours, et le vendredi suivant nous effectuons notre deuxième séance de simu en FBS, et avec moi, j’ai Henri (le Captain qui prend la suite des cours). Eh bien, les vols se passent de la même façon que lors de la première séance, mais, enfin, le Captain se pose sur la piste.

Pour moi, le cours est fini, les tests sont vraiment très moyens mais, enfin, c’est bon ! 75%

La suite…

Henri a donc pris ma suite : cours OPS, TU, briefings, simu, débuts des vols… Le nombre d’heures allouées est terminé, ce n’est pas bon, une rallonge est allouée… Toujours pas bon, mais, l’avion est vendu, et, sans Cdt de bord qualifié !

Après diverses transactions avec les autorités du Cambodge, ce sera Henri qui partira en Captain de cet avion pour un an comme pilote présidentiel (Royal) puis il sera remplacé par un autre de la compagnie pour un an, etc…

2 2

Cet avion a principalement servi pour les déplacements du roi entre le Cambodge et la Chine, où il se faisait soigner.

J’ai eu pas mal de surprises en tant qu’instructeur, mais, j’avoue que celle-ci a particulièrement retenu mon attention.       


Christian CHASSAGNE


Chasagne 1

Date de dernière mise à jour : 11/04/2020

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