Fier pistard

De la fierté d’avoir été "Pistard" 

Pistard 1

Lorsque je suis sorti de la BA 721 de Rochefort sergent PDL, BE 51-24 " Cellule - Hydraulique ", j'ai intégré l'ERV 04.93 "Aunis" sur la BA 125 d'Istres le 20/01/1969. Ce fut pour moi le début d'une Grande aventure qui devait durer 20 ans. 

Alors qu'une affectation dans un Groupe d'Entretien pouvait vous "cantonner" dans votre spécialité, la Piste avait l'avantage de vous transformer très vite en mécanicien polyvalent.
 
En effet, c'était la condition sine qua non pour être "opérationnel" et participer aux différentes tâches dévolues aux "Pistards" :

- Équipes de permanences vols de nuit,
- Prises d'alerte en ZA ,
- ... enfin les missions extérieures.

Très vite, malgré la barrière de la langue (documentation américaine), il nous fallait, après le passage obligé à l'ETIS du GERMaS 15/093, exploiter sans se tromper les TO descriptions, fonctionnements, inspections et les fameux Trouble Analysis. Il va sans dire que la moindre pause nous retrouvait tous le nez plongé dans la DOC. 

Parrainés par un ancien pendant un an, nous lui devions respect et écoute pour être "lâché" et enfin voler de nos propres ailes.
Bien sûr, durant cette période de parrainage, nous étions bizutés et nos principales tâches se cantonnaient, au début, aux pleins d'huile après vol et au nettoyage des capots GTR. Incroyable les tonnes de chiffons que nous avons dépensées !

Pistard 2

Malgré tout, le plaisir de voler nous était accordé très tôt et nous ne boudions pas notre plaisir lorsque notre nom inscrit sur le cahier d'ordres, nous prenions place à bord de l'avion.

Mon 1er vol : le 02/05/1969 : 

- Pilote : Cne Chatelier 
- Mission : Y351 
- C-135 F n° 475 
- Durée : 5 h.

Quel émoi, lorsque j'ai rempli pour la première fois, mon carnet de vol, qui me suivra jusqu'en novembre 1986. 
Enfin, récompense suprême, ma 1ère mission extérieure : les 06 et 07/12/1969  :

- Istres/Dakar A/R 
- Cdt de bord : Lcl Bellanger 
- C-135F n° 470 
- 14 h de vol.

Mais bien sûr, tout cela avait un prix : les décollages très tôt le matin, les vols de nuit, les prises d'alerte en ZA, les exercices Poker, Fantasia, qu'il pleuve, qu'il vente ou que le soleil tape dur.  Pourtant, nous ne rechignions jamais car nous aimions cette ambiance, cette camaraderie et les liens particuliers qui unissaient les équipages et les "mécanos".

Pistard 3

Au fur et à mesure des années, nous augmentions notre savoir et nos capacités qui nous permettaient, en parallèle, d'allier carrière militaire et professionnelle.
 
Ainsi on progressait :

- mécanicien de piste,
- chef d'équipe (apte à conduire la Check List "cocking"),
- chef avion (responsable d'une équipe), 
- sous-chef de piste puis, chef de piste.

Cette évolution avait l'avantage de parfaire nos connaissances dans tous les domaines, et je peux dire sans honte que nous connaissions notre C-135 du nez à la dérive arrière.
 
Les dépannages aidant, nous avions même acquis certaines connaissances des autres spécialités. Il fallait bien cela lorsque le matin nous présentions les Formes 11 au Cdt d'escadron pour signature, et qu'il nous demandait un rapport sur les pannes de la nuit et le pourquoi des "réserves de vol".

J'ai le souvenir d'un commandant qui avait horreur de lire sur les comptes-rendus : "Panne non reproduite au sol " ! 

J'ai eu la chance d'être sous-chef de piste, puis chef de piste pendant 6 ans ½ à l'ERV 02.93 "Sologne" de la BA 702 d'Avord.
Ce fut une mutation qui m'a beaucoup apporté, autant sur le plan humain que professionnel. 
Loin de la pression de l'Escadre et loin des "facilités" dues à la proximité du GERMAS, la vie de l'Escadron était plus sereine, plus unie et plus conviviale.
 
Nous étions une grande famille, très proches les uns des autres. 

Il arrivait fréquemment que tous les personnels se retrouvent en soirée pour un cocktail, un bal costumé ou un repas à thème. 
Bien entendu, les familles étaient de la fête et l'ambiance était toujours festive. 
Même la plupart de nos enfants fréquentaient l'école primaire d'Avord et se connaissaient très bien.

Nous nous connaissions tous et je citerai au passage les Cdt d'escadrons qui se reconnaitrons : Philippe, Michel et Dominique. 
Merci de votre amitié et des écrits élogieux que vous avez inscrits sur mon dossier professionnel au moment des notes annuelles. 
L'ambiance était telle, que le jour de ma mutation sur Istres en janvier 1987, mes 2 filles m'ont carrément "fait la gueule" pendant quelques jours. C'est vous dire !

À cette occasion, me revient une anecdote que vous apprécierez à sa juste valeur, du moins je l'espère. 

Une nuit d'hiver sur la BA 702. Il fait extrêmement froid. Un hiver comme on les connait dans le Berry. 
J'officie en temps que chef de piste à l'ERV 02.093 Sologne. 
Après une journée de travail normale, je quitte l'équipe de permanence qui doit assurer les vols de nuit avec un atterrissage tardif. 

Les consignes passées avec le chef avion et souhaitant une "bonne nuit " à l'équipe, je rejoins ma famille dans ma villa d'Avord, pas très éloignée de la base, pour une soirée bien au chaud. 

Vers 2 heures du matin, alors que la maisonnée dort tranquillement, la sonnerie stridente du téléphone me jette hors du lit. 
C'est le chef avion :

- « Bzit, (c'est mon surnom !), nous avons une panne Boom. Cela fait 2 h que l'on galère, mais nous n'arrivons pas à la résoudre ! J'ai passé l'avion TO (indisponibilité avion pour un dépannage de 0 à 3 h) et TAVERNY s'impatiente ! »

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Le boom du C-135, et de beaucoup d'autres tankers

À ma demande, il m'expose la panne et les travaux effectués, mais, le cerveau embrumé, je n'arrive pas à me concentrer. Je m'entends lui répondre :

- « Écoute, prends la DOC adéquate et viens à la maison, on discutera mieux ! »
- « Super ! » me répond-t-il avec enthousiasme.

Un quart d'heure plus tard, nous voilà autour de la table du salon discutant devant les plans des circuits hydrauliques, carburants et électriques, afin de comprendre la nature de la panne et d'y apporter une solution.

 
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Détail de l'embout de connection

Les mécanos sont venus à 3. Les visages sont fatigués, transfigurés par le froid de la nuit et les heures de travail. Leurs vêtements sentent le froid, le TRO et l'hydraulique. 

La discussion va bon train lorsque mon épouse apparaît dans l'encadrement de la porte du salon. Sans mot dire, elle se dirige vers la cuisine et en un tour de main, elle prépare une délicieuse soupe à l'oignon qu'elle distribue aux 3 mécanos lesquels apprécient ce geste qui leur réchauffe les entrailles.

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La bonne soupe à l'oignon de Mme Béziat

Bien vite, nous détectons les causes "probables" de la panne et les mécanos retournent en piste, me laissant au pied du téléphone en attente du verdict. 

Après de longues minutes qui me parurent un siècle, la réponse d'un dépannage EFFECTUÉ vint apaiser mes craintes. Je peux me rendormir très vite avant une nouvelle journée bien remplie.

Voilà ce qui faisait la cohésion et l'identité de l'Escadron. 

Peut-être que la procédure n'était pas conforme au règlement, peut-être avions nous marché hors des clous, mais le résultat en valait la peine, sur tous les plans ! 

Encore aujourd'hui, lors de discussions à bâtons rompus avec des anciens, mon épouse aime rappeler cette anecdote durant laquelle elle a "participé" à la disponibilité opérationnelle de la flotte !!!

 

Gilbert BEZIAT

Date de dernière mise à jour : 10/04/2020

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