Un épisode "tactique" de Fantasia 74

Ce 21 mai 1974, l’équipage du Mirage IV n° 15, Lunardelli-Béziaud, a la délicate mission (B7326) d’effectuer le tir CEN 22 (pointe marron) sur le champ de tir de Cazaux. Cette mission est l’un des trois volets de l’exercice Fantasia, coupe annuelle de bombardement. Le classement de l’escadron tient également compte du résultat des tirs de 3 SAMP2A (dites "pot de yaourt") de jour et de nuit à Captieux ainsi que d’autres éléments non détaillés dans ce récit.

Bombe 1

Cet épisode commence par la prise d’alerte. Au coup de sifflet (pas bref du tout) du COFAS, tout le monde s’agite : l’équipage, les mécanos, la "bête" s’ébranle et gagne la piste d’envol. Le temps de décollage est respecté : V1, V2, les godasses rentrent et nous voilà partis, porteurs des espoirs du "Bourbonnais" qui deviendra "Guyenne" un peu plus tard.

Premier ravitaillement, navigation basse altitude à 450 kt, confirmation de la mission par Taverny, deuxième ravitaillement puis descente pour l’approche basse altitude du champ de tir. Comparaison des éléments de vol par l’équipage pour une perte de temps avant d’arriver au point d’entrée du champ de tir et d’afficher 520 kt au badin.

Deux minutes avant le point d’entrée le Doppler se met en croix. Qu’à cela ne tienne, le vent estimé du 300/10 kt est affiché en manuel. Un recalage radar est effectué, l’avion se présente pile dans l’axe de bombardement (l’ouverture de l’axe vers le sud n’était que de 1°. Le contact radio est établi avec le COTAL de Cazaux qui donne l’autorisation de se présenter. Le contrôle de la concordance des altimètres et de la sonde d’altitude est effectué une dernière fois, la check-list bombardement est débutée.

À 30 secondes du largage, Cazaux donne l’autorisation de tir, aussitôt branchée par le pilote.

La check-list est bouclée. Instants décisifs : ... 3, 2, 1, top cabré, puis quelques secondes plus tard : top largage. Le lance-top fait entendre sa musique, un coup d’œil rapide sur les éléments de vol à transmettre au COTAL en même temps que l’annonce du largage. Tout ceci, dans un instant bien plus court que le temps de l’écrire, avec 4,5 g dans les fesses, un passage dos et un piqué avec un demi-tonneau pour redresser la machine. Certains auraient entendu sur les ondes :

- « Lulu, c’est parti ! ».

Le retour et l’atterrissage à Avord se font dans une certaine décontraction avec la satisfaction de la mission accomplie.

L’équipage arrive au parking, les moteurs sont coupés. D’habitude la mécanique, voyant le retour de l’avion bombe larguée exprime sa joie. Ce jour-là, ils avaient des "gueules d’enterrement". Les sécurités siège en place, les mécanos nous disent qu'une fois les Formes remplies nous étions attendus, fissa, aux OPS, sans autre précision.

Aux OPS escadre, même scénario. Le Commandant d’unité nous attend et nous introduit immédiatement dans son bureau pour nous dire :

- « Le Général Saint-Cricq vous attend demain à 10h00 à Taverny en tenue n° 1. ».

- « Mon Commandant, pourquoi, que s’est-il passé ? ».

- « Vous avez largué votre arme dans la nature, il y a eu mort d’homme. Allez faire votre compte-rendu de vol puis revenez ».

Visages décomposés des pilote et navigateur. Le compte-rendu de vol est effectué avec l’estomac noué. Puis au bout d’un "certain temps" grosse rigolade et félicitations des Mirage IV, C-135 et de l’OPO. Mission réussie et fort bien (médaille de bronze, la hauteur d’explosion nous ayant coûté la médaille d’or). Tout cela se termina par une grosse java le soir venu.

Que s’était-il passé ? Explication.

Notre largage était le dernier de la journée, programmé pour 15h00 TU (je tiens à préciser que le top d’explosion a été respecté à 7 secondes près). Chaque escadron était identifié par la couleur de la pointe du CEN 22 qui lui était attribué.

Un employé civil de la base de Cazaux était chargé de récupérer les pointes des CEN 22 à la fin de l’exercice. Sans doute pressé de finir sa journée, il a pénétré sur le champ de tir sans autorisation. Alors qu’il circulait dans la cible il a reçu sur le capot de son GMC notre CEN 22 au bout de son parachute. Bilan : un GMC détruit, un blessé léger évacué sur l’hôpital de Bordeaux avec des contusions multiples, heureusement sans gravité. Il a eu chaud : à deux mètres près, il ne s’en serait pas sorti !

Voici maintenant l’explication des mots "épisode tactique" du titre. Les runs de bombardement étaient suivis et contrôlés à Cazaux par deux organismes ou systèmes :

- Un COTAL, système radar de précision qui permettait la restitution du tir,
- Un cinéthéodolite qui filmait le tir.

Cotal 
Radar COTAL

Notre regretté Raymond Pardaillan, alors navigateur-moniteur Mirage IV au CIFAS, faisait partie de la commission d’arbitrage et se trouvait aux cotés du général Saint-Cricq lors de notre tir. Ayant suivi la séquence de largage au cinéthéodolite et vu le résultat de l’impact au sol, il a eu cette réparti bien digne de lui :

- « Mon Général, votre Force Stratégique est devenue Tactique. ».

Je n’ai jamais connu la réponse de notre chef d’alors !

L’escadron ayant été informé immédiatement du résultat de notre tir, il avait monté un superbe bateau bien dans la tradition aéronautique.


Jacques BEZIAUD

Ce récit est dédié par son auteur à tous nos camarades qui nous ont quittés dans l’accomplissement de leur mission.

 

Date de dernière mise à jour : 05/04/2020

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