F-100, je t'aime, moi non plus

Premiers contacts

À 17 ans et depuis quelques années déjà, dès qu’un moteur se fait entendre au-dessus de la Bourgogne, je garde le nez en l’air jusqu’à pouvoir identifier l’objet volant. Je reconnais parfaitement le P-47, le Vampire, tous deux basés à Dijon, suivis bientôt par l’Ouragan et le Mystère IV. Je sais aussi identifier le F-84E ou G, le F-84F et le RF-84F, qui n’effraient plus que rarement les chevaux quand nous récoltons les foins et les moissons de la ferme de mon oncle.

Cette année-là, en 1957, en vacances chez des amis à Verdun, nous sommes passés en voiture sur la route qui borde la base d’Étain et j’ai entendu… un coup de canon, puis vu un monstre qui crachait le feu en prenant son élan dans un bruit d’enfer. La "bête" a décollé, a viré et, pour la première fois, j’ai vu "LE F-100 Super Sabre, en chair et en os". Je le connaissais déjà à travers quelques photos de lui parues dans "Aviation Magazine", mais cette première rencontre m’a réellement impressionné.

Peu de temps après, ma mère m’a offert la maquette de cette merveille, une des premières maquettes en plastique disponibles après le B-17 et fabriquée par "Lindberg". J’ai donc construit mon premier F-100 et j’ai continué à rêver d’avions dans ma pension, l’École des Pupilles de l’Air, à Grenoble.

Mai 1966

Dix ans ont passé.

Après quelques heures de vol, dont un tour de France aérien et quelques sauts en parachute, j’ai quitté Grenoble, puis Salon, puis Tours. En compagnie de quelques petits camarades pilotes de chasse, nous pilotons des Mystère IVA, en école de tir au 2/8 " Nice", à Cazaux.

Un jour, sur le parking des escadrons en campagne de tir nous voyons arriver ... des F-100.

f-100-a-1.jpg
North American F-100 "Super Sabre"

Avec quelques rares camarades, intéressés comme moi par la belle mécanique et les avions de pointe, et malgré les mises en garde de notre encadrement sur le comportement des pilotes des escadres nucléaires, nous sommes allés, presque en rampant, présenter nos respects aux demi-dieux capables de maîtriser une bête aussi puissante et aussi dangereuse.

L’accueil du chef, le Cdt Pierre G. que nous avions croisé à Salon et qui est devenu mon ami "Pierre" a été très sympathique, chaleureux. Nous avons pu examiner les bêtes en long, en large et en travers, et même nous installer dans la cabine. Nous en avons aussi profité pour tâter le terrain, car trois mois plus tard, à la sortie du dernier stage en école, à Nancy-Ochey, nous aurons à choisir notre première affectation opérationnelle.

Mais à la question :

- « Comment fait-on pour aller chez vous ? »

la réponse a été :

- « Je peux difficilement vous renseigner. On vient de nous retirer la mission nucléaire. On parle de nous donner une autre mission, de nous déménager et même de nous faire assurer le vieillissement des futurs pilotes de Mirage. Mais ça, je n’y crois guère. De toutes façons, rien n’est décidé. Tenez-vous au courant, vous pouvez m’appeler quand vous voulez. »

Chaleureux mais, au final, pas très encourageant. Cela nous a cependant suffit pour nous voir aux commandes d’un F-100 avant la fin de l’année.

Trois mois plus tard, à Nancy-Ochey, se tient l’amphi garnison. La liste des escadres qui vont nous accueillir et le nombre de places proposées, est affichée. Dans l’ordre du classement de fin de stage, chacun de nous est appelé pour choisir, en fonction des places restées disponibles, son affectation en unité opérationnelle.

Une place sur Mirage IIIC à la 5, à Orange. On nous fait comprendre que c’est un cadeau de roi, obtenu de haute lutte par le Commandement des écoles et réservé, de préférence, au major de promotion.

Quatre places sur SM-B2. Deux à la 12, à Cambrai, deux à la 10, à Creil.

Neuf places sur F-100 à la 11, à Bremgarten, dont six en vieillissement avant d’aller sur Mirage IIIE ou sur Mirage IIIR. Une première, Youpi !!!

J’ai pu choisir le Mirage IIIE et j’ai eu le vieillissement sur F-100. Le rêve !!!

À l’époque, la 11, après la dissolution de la 1 et de la 9, vient de s’agrandir à trois escadrons. Le 1/11, le 2/11 et le commandement de l’escadre sont basés à Bremgarten. Le 3/11 est à Colmar, de l’autre coté du Rhin.

Le jour dit, après un rassemblement savamment organisé pendant nos permissions, nous nous retrouvons, neuf lieutenants "élus" briqués comme des sous neufs, pour passer la frontière et nous présenter à nos chefs.

Accueillis par le Cdt en second de l’escadre, nous sommes ressortis de son bureau assez "sonnés" :

- « La 11 n’a jamais été une nurserie et ne le sera pas. Chaque escadron ne peut former qu’un ancien élève de l’École de l'air par an. L’escadre est formée de trois escadrons. Vous êtes neuf et je suppose que vous savez compter. En sortant de ce bureau vous vous présenterez à votre commandant d’escadron qui décidera de ce qu’il fera de vous. Je recevrai en temps utile les trois d’entre vous qui resteront à l’escadre. Merci messieurs. »

La douche… froide, glacée.

Heureusement, l’accueil dans les escadrons est plus chaleureux. Nous sentons bien que notre arrivée est une petite révolution, qu’il nous faudra faire nos preuves et, aussi, que nous ne sommes pas condamnés. Nous sommes considérés comme des pilotes à part entière. Plus jamais je n’entendrai la répartie célèbre qui, dans les écoles de pilotage, mettait fin à toute contestation justifiée ou non, quand les plus jeunes osaient parfois exprimer leur point de vue au cours d’un debriefing :

- « N’essaie pas de me vendre des salades. Je portais déjà les marques du masque à oxygène sur le visage quand toi, tu portais encore les marques du pot sur les fesses. »

Par chance, ou plutôt par "affinité" je crois, je suis affecté au 1/11 "Roussillon" où mon ami Michel est Cdt d’escadrille. Nous étions ensemble à Grenoble et nous avions fait plusieurs camps scouts où il était, déjà, chef de patrouille. Pour moi, il est un peu comme un grand frère.

Encadrés, briefés par les anciens dans une cellule d’instruction au sol créée pour la circonstance, notre petite troupe découvre la documentation américaine et suit les cours qui doivent lui permettre de maîtriser la bête.

f-100-c.jpg
Tableau de bord du F-100 (M Chris)

L’ambiance est excellente, nous sommes tous motivés et impatients de faire les premiers vols. J’apprends tout sur l’avion et sur les procédures. Quelques jours plus tard je fais mon premier vol, en place arrière d’un avion leader de patrouille. Après avoir découvert l’allumage de la post-combustion qui, sur F-100, se fait à pleine charge, je peux tâter les commandes, écouter vivre l’avion, admirer l’équipier et respirer un grand coup car, bientôt, il faudra assurer.

Pour le premier vol en place avant, l’instructeur n’est pas commode. C’est un ancien moniteur de Marrakech et ancien des Skyraider. Il ne s’en laisse pas compter. Au retour, je suis plutôt content de moi et surtout très fier d’avoir piloté la bête.

f-100-b.jpg
Le F-100 F biplace

Le débriefing est dur et se termine par :

- « De toutes façons, il faut que je parle au commandant d’escadrille. »

Cloué au mur, car rien n’a échappé à la rigueur et au professionnalisme d’ "Hector", je comprends que la partie n’est pas gagnée. Le moral en prend un gros coup et je crains l’élimination.

Michel, le Cdt d’escadrille, m’appelle et me reçoit avec sa tête des mauvais jours. Je pense que mon sort est réglé. Il me demande simplement comment s’est passé le vol et, pour me défendre, je lui dis que je ne comprends pas ce qui m’est reproché à ce stade de la progression. Il me regarde, étonné, et m’interroge un peu plus en détail. Je le vois se détendre puis sourire. Au bout d’un moment il me dit :

- « Il faudra que tu t’y fasses, mais il n’y a rien de grave pour toi. Ton instructeur pense même que tu pourrais partir en monoplace après un deuxième vol en biplace. Est-ce que tu te sentirais prêt ? Le seul vrai problème c’est que l’avion que vous venez d’utiliser est en panne, a priori pour plusieurs jours et que vous êtes nombreux à devoir être lâchés. »

Je tombe des nues. Devant mes hésitations, Michel me propose de faire ce deuxième vol avec un autre instructeur, tout aussi exigeant mais un peu moins "carré" qu’Hector.

Deux jours plus tard, je pars en double avec un "très vieil" Adc, qui devait approcher la quarantaine et dont le surnom, inspiré par des petites moustaches et un regard malicieux, rappelle un petit animal, genre furet.

Deuxième vol sans histoire et, dans la foulée, très fier, je pars en monoplace, escorté par l’instructeur qui vient de me lâcher. Salut à toi "La fouine", merci l’Ancien. 

Ce premier séjour sur F-100 est pour moi un souvenir merveilleux.

L’escadron est une unité soudée dont nous sommes membres à part entière. Les traditions et la personnalité de certains pilotes sont fortes… très fortes. Un groupe de cinq lieutenants anciens, tous chefs de patrouille, se charge, avec d’autres, de notre formation en vol, de l’ambiance et de notre "éducation" au sol. J’apprends beaucoup.

Célibataire logeant sur la base, j’ai la chance de participer, souvent, à des missions qui décollent le matin de bonne heure. Il fait généralement encore nuit quand Manif, Cdt d’escadrille célibataire logeant sur la base lui aussi, donne un coup de pied dans la porte de ma chambre. J’ai vingt minutes pour le rejoindre à l’escadron ou au mess. Petit déjeuner, briefing, salut aux mécanos et décollage "à la fraîche" pour des missions, souvent au profit de l’Armée de terre, dans le Jura, le Massif Central, le Sud-ouest, ou les terrains de manœuvre en Allemagne.

Un an plus tard, c’est le déménagement vers la France des escadres basées en Allemagne. Comme la "3", escadre sœur de la "11" et mon escadre d’affection définitive, vient de quitter Lahr et s’installe avec difficultés à Nancy-Ochey, le Cdt d’escadron me propose de rester un peu plus longtemps sur F-100 et de continuer mon entraînement. Banco !

Nous arrivons à Toul en septembre 1967 dans des installations assez sommaires. Quelques semaines et une éjection plus tard, avec l’équipe de mécanos célibataires "qui va bien", nous prenons une semaine complète d’alerte pour la période de Noël. Nous passons la journée en bout de piste, dans une remorque Déplirex sans eau et dont les radiateurs électriques sont alimentés par un groupe électrogène "un peu" sous dimensionné. Emmitouflés dans des couvertures, nous jouons aux cartes et nous lisons, en attendant le ou les vols d’alerte. Le mess nous ravitaille en thé et en casse croûtes. L’ambiance est au beau fixe, nous nous la "jouons, un peu la Bataille d’Angleterre" et, le soir, nous faisons un bon repas au mess.

En février 1968, sous-chef de patrouille, je pars pour Dijon découvrir le Mirage III.

En 18 mois, je viens d’effectuer 350 h de vol sur F-100, de vivre deux campagnes de tir, un échange escadron de trois semaines sur les plateaux d’Anatolie et un déménagement de base. J’ai, aussi, cassé le 11-EG n°42150 en m’éjectant pour la deuxième fois et, malheureusement, douloureusement, vu partir quelques amis.

- « Engagez-vous, rengagez-vous. Vous vivrez des aventures et vous verrez du pays », disaient les affiches en couleur.

Au-delà de tous mes rêves, pour moi, à l’âge de vingt-sept ans, cela était bien vrai.

Denis TURINA

Bonus : quelques "brèves"

Une petite surprise que nous avions faite à un de nos anciens en entraînement au BCP à Bremgarten. Il avait parfois tendance à nous bahuter, nous les jeunes lieutenants, et ce jour là, après avoir fait le briefing de sa prochaine mission, toute la patrouille était partie au mess en laissant les cartes sur la table de la salle d'OPS. L'occasion était trop belle. Nous avons simplement déplacé d'une dizaine de kilomètres, en respectant le cap et le minutage, le trait d'entrée sur sa carte du sud, celle qu'il devait utiliser après une vingtaine de minutes de vol. Et nous avons attendu. L’entrée dans la salle d’OPS du leader en entraînement et le débriefing au retour ont mérité le détour. Prudents, nous n'avons rien dit sur le moment.

------------

C'était l'époque où les lieutenants CP, ORSA, et EMA étaient rois. Un jour, l’un d’eux à largué les sous-vêtements PN d'un de ses petits camarades sur la ville du Puy-en-Velay, pour qu'ils en fassent de la dentelle. Les sous-vêtements, propres, avaient été soigneusement pliés avant le vol, dans l'aérofrein du F-100.

Il faut dire que, quelques jours plus tôt et selon la tradition, ce petit camarade avait réussi à faire brûler le calot de l’ancien dans la salle d'OPS.

------------

Dans la salle d’OPS du 1/11 "Roussillon" : c’est un retour de vol de nuit.
La Fouine, l’Ancien, chef pilote de l’escadron aimé et respecté, est en train de débriefer son équipier.
Jean-Louis, CP et jeune capitaine entre dans la salle d’OPS de l’escadron. Il vient d’effectuer sont premier vol d’entraînement de nuit, en place arrière, pour devenir instructeur.

- « La Fouine t’es un salaud ! »
- « Moi ? qu’est ce que je t’ai fait ? »
- « Ce soir : Rien !  Jusqu’à présent je te prenais pour un type bien, expérimenté, compétent et consciencieux. Maintenant je sais que tu es un salaud. »
- « Pourquoi ? »
- « Il y a trois ans, quand tu m’as lâché de nuit après seulement une heure de nav à basse altitude et trois atterrissages, j’ai pensé que tu avais vu à qui tu avais affaire et reconnu mes mérites. Maintenant je sais que c’est parce que tu avais la trouille, et que tu ne voulais pas risquer un autre vol de nuit en place arrière dans ce bocal où l’on ne voit rien de ce qui se passe dehors. Laisser partir un jeune après seulement un vol de nuit en place avant sur F-100, c’est de la « non-assistance à personne en danger » et tu le savais. Voilà pourquoi tu es un salaud ! »

Rires dans la salle d’OPS et passage en salle de repos pour continuer le debriefing.

Date de dernière mise à jour : 01/05/2020

Ajouter un commentaire