En plein ciel de gloire

Le M530 en opération sur Mirage III

Les "vols fusée" du Mirage IIIC devaient permettre de réaliser des interceptions à très haute altitude (> 65.000 ft), en haut supersonique (Mach 1.6 à 2.1) avec des engins Air-Air Matra 530, et utilisant les fonctions de guidage du radar Cyrano I bis. Pour atteindre cet objectif, l’avion fut équipé d’une fusée d’appoint SEPR 841 de 1.500 kgp, au sol (environ 1650 kgp à haute altitude).

Déroulement d’un vol avec fusée d’appoint

La configuration utilisée : avion lisse avec le missile M530 en position ventrale. Le plein de carburant est réduit à 2100 l par l’installation en soute avant du réservoir de carburant spécial de la fusée TX (Triéthylamine de Xidiline), et du réservoir de comburant (acide nitrique) en soute arrière, partie du groupe fusée.

Équipement du pilote : combinaison spatiale pressurisée protégée des aspérités de la cabine par une autre combinaison en cuir blanc ("habit de lumière") et le casque stratosphérique. Assistance indispensable pour l’habillage du pilote, (en général 2 personnes) et son brêlage.

Décollage : s’il y a urgence, on peut décoller avec la pleine poussée du moteur (PC/PC) et monter ainsi rapidement à la tropopause (36.000 ft en atmosphère standard) , en 2 mn 15 s environ, avant d’accélérer en supersonique. En général, on décolle et monte à 36.000 ft en P.G. sec ce qui économise grandement le carburant pour la partie OPS du vol (temps de montée : 4 à 5 minutes).

Suit une courte navigation à Mach 0.95, guidé par le contrôleur d’interception (GCI) vers le point d’accélération qu’il a calculé.

Accélération PC/PC jusqu’à Mach 1.6.

Puis affichage d’une pente de + 40 degrés avant d’allumer la fusée en pleine poussée. Le pilote lance le chrono qui va servir à contrôler la performance de la fusée, qui va brûler pendant 80 secondes environ….  Une grande attention s’impose pour arrondir la trajectoire afin de stabiliser à 70.000 ft ; vu la faible réponse des élevons, on s’y prend dès 60.000 ft … ! (il est vrai que l’on monte à environ 30.000 ft/minute, assis sur … les omoplates …). On surveille les limites : en Mach maxi : 2.15 et en Z : 75.000 ft (limites moteur).

Écouter le GCI pour réaliser l’interception, puis la détection / accrochage sur son radar de bord …

Bien doser ses actions aux commandes pour ne pas perdre trop vite de l’altitude après l’extinction de la fusée. Pas d’évasive vers le bas : tout piqué supérieur à 30° est interdit (risque de saturation des servocommandes d’élevons).

Effectuer la descente PG sec à 350 kt indiqués (meilleure manœuvrabilité), et jusqu’à 50.000 ft. Au passage, on croise Mach 1.6 (vers 60.000 ft) et l’on peut réduire le moteur au ralenti.

À 50.000 ft on décélère à 300 kt, qui est la vitesse de finesse max de l’avion, et qui, sans aérofreins, donne la descente directe la plus économique.

Si l’on est très près de la base d’atterrissage, on peut adopter la "descente OPS" : assiette -20° et aérofreins, qui amène la vitesse à augmenter vers 450 kt. Pour ne pas affoler les contrôleurs d’approche, il faut diminuer la pente vers 5.000 ft. 

Les problèmes généralement rencontrés

Par temps chaud, sauf à disposer d’un groupe de parc réfrigérant la combinaison spatiale, il est pratiquement impossible de garder une "alerte à 3 minutes" en bout de piste : déshydratation importante et rapide, compromettant la sécurité.

Le guidage du GCI doit être très précis et complet : en effet, le pilote ne peut pratiquement observer le ciel que dans un angle réduit : le casque étanche, qui comporte l’arrivée de l’oxygène à gauche, et une sorte de "hale-bas", accroché à la poitrine, limite les mouvements de tête, et donc la visibilité extérieure au secteur 9 h / 3 h et demi (ennuyeux pour un chasseur !!).

À 70.000 ft , le ciel au-dessus de l’avion est bleu marine, et l’on distingue quelques étoiles même en plein jour, tandis que le sol est vu dans un environnement laiteux et très brillant. Intercepter à vue est quasi impossible. La hantise est la perte de contact avec le GCI.

Se référer en permanence aux instruments est recommandé, à cause de la précision demandée pour un pilotage si près de multiples contraintes, et des vitesses équivalentes inhabituelles et déroutantes (Mach 2.00 à 70.000 ft c’est 340 kt indiqués, mais c’est aussi 720 kt à 36.000 ft … !)

La combinaison commence à se gonfler au-dessus de 65.000 ft du fait de l’abaissement de la pression cabine, et gêne les mouvements (connaître par cœur la position des différents contacts et surtout des disjoncteurs pour les activer "au tâté")

Il est possible de tenir un palier vers 70.000 ft, s’il reste encore un peu de fusée "à l’arrivée" pour tenir le Mach : descente obligée, dès la décroissance du Mach à 1.7, car l’avion, trop centré avant demande le plein débattement des élevons pour tenir le palier (avec une superbe traînée aérodynamique !). Ceci signifie qu’un virage, même léger, entraîne inexorablement la descente. Une petite astuce : en montée fusée, vers 55.000 ft passer en demi-poussée fusée, ce qui "rallonge la sauce" là-haut de 15 à 20 secondes…

En général le radar Cyrano s’absente vers 55.000 ft (trop chaud), et l’on ne peut donc tirer l’engin. On ne pourrait pas faire une passe simulée aux canons, (ciné-caméra) car il y a danger à approcher un avion subsonique (de type U2 ou RB47 par exemple) : vitesse de rapprochement énorme et manœuvrabilité très réduite compromettant un dégagement à distance de tir.

Il faut bien mémoriser toutes les trajectoires, les temps écoulés, et la position de la base d’atterrissage, car on termine en général la manip avec la lampe 400 litres restants allumée, et l’on ne peut réduire le moteur vers le ralenti au dessus de Mach 1.6 (à cause des entrées d’air).

Toujours prévoir une remise des gaz suivie d’un mini circuit GCA (150 litres) en cas d’embuage soudain de la verrière après une très longue descente.

En retour de nuit, les filaments de dégivrage permanent de la visière (invisibles de jour) interfèrent avec les méridiens de l’horizon-boule, induisant des vertiges. On peut en prévenant le contrôleur GCA, et en cas de danger, décrocher la visière (mais bruit de cabine important, interdisant les réponses radio !).

Il faut une assistance pour sortir, et se dévêtir : on perd quelques kilos pour un vol qui ne dure que 28 à 33 minutes. On sort un peu hébété, mais ... content.

Les mécanos compatissent… Des missions rapprochées dans le temps par le même pilote seraient problématiques.


Maurice LARRAYADIEU

Note complémentaire

On peut observer que le vol avec fusée d’assistance est entré rapidement en désuétude. Outre la difficulté d’assurer un parfait environnement de la mise en œuvre de la fusée, au sol,
de comprendre que ces vols, effectués en limite de domaine, pouvaient générer des incidents répétés. Par ailleurs, l’arrivée prévisible de missiles air-air à fort dénivelé, capables d’être tirés à 45 / 50.000 ft, vers des cibles volant à 75 / 80.000 ft, amènerait à éviter toutes les difficultés rencontrées.

Extrait de Aeromed n° 15 de décembre 2005

Date de dernière mise à jour : 29/03/2020

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