En École de Chasse

1952

Alors que j’attendais mon lâcher prochain sur Spitfire IX se produisit un incident drolatique dont je fus l’un des acteurs involontaires.

Le bouleversement des plannings, causé par l’interdiction de vol des M.S.475  Vanneau  nous valut une suite de jours sans voler, désagréables pour les affamés que nous étions.

Un vendredi après-midi j’allais traîner mes guêtres dans l’aéroclub civil proche de nos hangars. Celui-ci était dirigé par un certain Nedellec qui me dit-on, avait jadis appartenu à la célèbre Patrouille acrobatique tricolore. L’aéroclub était surtout équipé de Piper Cub, petits avions légers à aile haute.

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Piper "Cub"

Les « chevaliers du ciel » qui fendent maintenant les airs sur leurs flèches d’acier, ont oublié les joies et les peines que réservaient ces petits avions. Ils ont oublié de se servir des palonniers, tant le pilotage de base s’est simplifié, et ne prêtent attention qu’aux vents très forts, et en bourrasques. Celles-ci emporteraient les petits avions comme des fétus à bord desquels les pilotes doivent se battre ferme pour rester en vol. Les chevaliers en question utilisent d’ailleurs le terme péjoratif de trapanelles pour qualifier ce genre de machines, tant leur tenue en vol leur semble aléatoire.

Je fus reçu par l’un des jeunes moniteurs qui assistaient Nedellec, et qui assez peu occupé me consacra un bon moment dans l’un de ces avions. Il m’expliqua, dans l’hypothèse d’un entraînement prochain, la mise en route du moteur, les vitesses pratiquées et les procédures en usage.

Il y avait, pendu au plafond une boite métallique dont il me dit que c’était un barographe qui permettait de restituer les altitudes de vol pratiquées par le pilote une fois lâché sur l’engin. Par exemple on lui demandait d’effectuer des virages à 45 degrés d’inclinaison à partir d’un repère, et une altitude fixés. À chaque passage il inversait le sens du virage, décrivant une série de huit horizontaux en s’efforçant de garder altitude et inclinaison. Une restitution de cet exercice, par le moniteur permettait de juger des progrès de l’élève dans la tenue de sa machine. 

Je m’enquis de la date à laquelle je pourrais débuter.

- « Aho… revenez demain vers 9 heures, on verra ce que l’on pourra faire… »

L’aéroclub ne fonctionnait que les samedi et dimanche, quand les rapaces militaires de l’École de Chasse restaient au nid.

Ce rendez-vous donné d’une façon si légère allait être la cause d’un gag monstrueux.

Le lendemain j’arrivai très décontracté, mais en retard au rendez-vous.

J’aperçus un escogriffe qui du plus loin qu’il me vit agita les bras comme un sémaphore en me désignant le Piper Cub vu la veille. C’était l’un des jeunes moniteurs assistants. Nous ne nous connaissions pas…

Le gag en question vint de ce qu’un jeune pilote civil, après quelques séances en double commande, devait ce jour-là être lâché sur cet avion. Il aurait dû être prêt à voler à 9 heures.  Son absence mit en route un engrenage fatal :

- « Vous êtes à la bourre, chef… Nedellec va être furax ! Sautez dans l’avion et dépêchez-vous de partir… ».  

Je ne me fis pas prier et détalai rapidement. Il était 9 heures et 20 minutes.  Sitôt en vol, je m’avisai de la présence de ce barographe et résolus de l’utiliser. À l’autre bout du terrain de Meknès existait une ancienne tour de contrôle qui culminait à 50 mètres environ. Je jugeai qu’elle me fournirait un repère parfait pour mes huit. Et voler à basse altitude était le bon moyen de ne pas en perdre dans les virages.

J’enclenchai l’enregistrement du barographe et entrepris de faire méticuleusement mes huit : pas difficile ! J’irai ensuite me décontracter à quelque distance, dans le djebel.

Alors que je venais de décoller, le jeune pilote prévu vint, en s’excusant de son retard, et le moniteur réalisa soudain… sa bévue, sans comprendre comment elle avait pu se produire.

Nedelec dans son bureau, s’énervait en entendant un bourdonnement répétitif dont il n’avait pas tout d’abord localisé la provenance. Puis à travers la fenêtre il observa l’étrange comportement de l’avion qui, à basse altitude, briquait consciencieusement le secteur de la vieille tour, accumulant les pétales d’une fleur imaginaire. Il bondit à l’extérieur et demanda au moniteur :

- « C’est quoi ce cirque ? » 

On lui expliqua le peu que l’on savait, tout en désignant le jeune pilote.

- « Mais qui est le type dans MON avion ?? ».
- « Sais pas, jamais vu avant… mais celui-ci, par contre, devait être lâché ce matin ».

Stupeur.

- « Et en plus il est seul à bord ! » 

Nedelec était du genre corpulent congestif, et craignant d’exploser regagna prestement sa tanière en agitant les mains au-dessus de la tête et en grommelant.

Je ramenai paisiblement l’avion à son parking. Le moniteur ébahi me dit :

- « J’espère qu’il est disponible ?... Nedellec va vous tuer !  On ne part pas comme cela en solo. Cela ne peut se faire et ne se fait pas !! »

Je commençai à réaliser qu’il y avait eu une grosse embrouille, et lui répondis :

- « Je serai lâché sur Spitfire dans quelques jours. Cela se peut et … se fera ». 

Je le laissai pantois.

Quelques jours après ce lâché, je revins voir Nedellec pour m’excuser. Il m’écouta avec amusement. Visiblement il avait oublié les incongruités de l’incident précédent et sans doute débriefé les vrais responsables. C’était un vrai pilote, un professionnel réaliste.  

- « Et ce Spit, me demanda-t-il ? »

J’eus l’occasion de faire encore deux vols sur le Piper Cub par beau temps calme : j’étais bercé par le ronronnement du moteur, et volai lentement à basse altitude, près des oiseaux, et répondant aux signes amicaux des terriens par un balancement des ailes. Du pur bonheur.

 Puis je retournai vers mon monoplace mythique.

Maurice LARRAYADIEU

Date de dernière mise à jour : 27/03/2020

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