En dessous des minima à Tokyo

En provenance d'Anchorage, en Alaska, notre escale de destination était Tokyo. Ayant eu un problème du système de navigation, nous étions très vigilants sur la navigation en longeant la frontière de l'Union Soviétique sachant que tout avion survolant un territoire interdit peut être abattu.

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Boeing 747

Arrivé à Tokyo, je fis l'une des plus difficiles approches de ma carrière. La météo étant mauvaise, le débit des atterrissages avait été ralenti, augmentant ainsi le temps d'attente, avant de recevoir l'autorisation de se présenter en approche finale. De plusieurs avions, des messages de mécontentement étaient adressés à la Tour de contrôle, pour se plaindre de la lenteur avec laquelle les contrôleurs répondaient aux questions des pilotes.

Effectivement, le temps passant, mes réserves de carburant devenaient insuffisantes pour envisager un éventuel dégagement vers un autre terrain. Il fallait donc, dans tous les cas, se poser et dans les meilleurs délais.

Or, considérant que le cheminement qui était prévu pour mon approche était trop long, je demandai l'autorisation d'engager une procédure plus courte. Mais aucune réponse !

Occupé à la conduite du vol, dans de très fortes turbulences, je lançai au copilote :

- « Rappelle-le, car on ne peut plus attendre. »    

Ce qu'il fit aussitôt, mais en vain !

Alors, sachant, d'après les communications radio entre les avions et la Tour de contrôle que nous étions seuls dans cette zone, je fis un signe de main à mon copilote pour indiquer que nous allions quand même descendre, ce qu'il acquiesça d'un simple signe de tête approbateur.

- « OK. On plonge ! »

Je débutai de suite la descente pour me trouver, du premier coup, à la bonne position, au travers de la piste. Or, il faisait nuit, et il y avait un très fort vent traversier. Entre les nuages, j'avais aperçu, légèrement sur notre gauche, les lumières de l'aéroport. Dans quelques instants je serais au travers de la piste d'atterrissage.

Mais, pour être certain de pouvoir terminer mon approche à vue, je dû continuer à descendre au dessous de la couche de nuages, ce qui se fit à très basse altitude.

Après avoir pris un cap tenant compte du fort vent qui nous déportait, j'engageai le dernier virage, ayant perdu de vue l'entrée de piste. Cachée par des nuages bas, enfin, elle nous sauta aux yeux et une rapide correction nous amena dans l'axe de piste. Mais le vent de travers était tellement fort, qu'en très courte finale l'avion "crabait" d'une façon inimaginable.

Quelques instants avant de prendre contact avec le sol, je fis les manœuvres appropriées pour redresser l'avion afin qu'il touche le sol correctement aligné sur la piste, tout en contrant l'effet du vent.

L'atterrissage ? Même pas un boum, mais un kiss landing, c'est-à-dire atterrissage très doux.

L'intensité de cette tempête qui régnait sur Tokyo avait conduit la Tour de contrôle à suspendre tous les décollages et atterrissages.

Une fois au parking, l'agent au sol, un japonais, nous déclara qu'il avait vu l'avion voler très bas et très incliné et qu'il croyait ne plus nous revoir ! Grand fut donc son soulagement de constater que tout s'était bien terminé.

Il est certain que la qualité des entraînements subis lors de nos stages antérieurs à Air France et de mon expérience acquise à Madagascar, avaient grandement contribué à ce que cette situation extrêmement délicate soit gérée d'une façon efficace.

Toujours est-il que j'étais passé outre les instructions en provenance de la Tour de contrôle, que j'étais descendu en dessous des minimas réglementaires et que je m'étais posé avec un vent traversier dont la force dépassait les limites du manuel de vol ! ... mais c'est, en fait, grâce à cela que je suis en mesure de le raconter aujourd’hui !


Jean BELOTTI


Extrait de « Mieux comprendre le transport aérien » (Ed : Vario - 2012)

 

Date de dernière mise à jour : 30/03/2020

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