Déroutement en Norvège

Le 18 mai 1970, l'équipage Bouleige-Autret décolle de Saint-Dizier, où il fait aussi mauvais que d'habitude, pour une mission longue durée qui, avec deux ravitaillements, va nous conduire jusqu'au cercle polaire en longeant les côtes de Norvège.

L'aller se passe normalement. Là-haut il fait même beau et l'équipage peut admirer la côte avant de redescendre cap au sud et de ravitailler une dernière fois au large de Stavanger (base prévue comme terrain éventuel de déroutement). Lors de ce dernier ravitaillement, à l'enquillage, une énorme fuite au panier du ravitailleur noie le Mirage IV. Après deux ou trois tentatives il faut se rendre à l'évidence, le ravitaillement est impossible et le déroutement inéluctable.

Stavanger est dessous qui nous tend les bras. Le contrôle de Stavanger est averti des intentions de l'équipage et nous passe alors une rafale en anglais se terminant par Stavanger red (c'est ce qu'a compris l'équipage) ; en fait, il s'agissait du radar de Stavanger qui était H.S et le terrain était fermé pour travaux. Le terrain le plus proche est Orland, distant de 40 minutes de vol, où la météo, vue par l'équipage à l'aller, est correcte. Le commandant de bord du ravitailleur propose son aide, refusée par le Mirage IV, compte tenu de la météo estimée sur le terrain et parce que le pétrole devenant rare et cher dans l'avion, il faut rejoindre Orland à la vitesse de rayon d'action maximum, peu compatible avec un vol en formation avec un C-135F. Arrivant à Orland, la météo s'est dégradée ; il faut une percée et un G.C.A : tout cela en anglais, langue que l'équipage maîtrise tant bien que mal. Le COFAS, que nous avons en contact BLU, nous demande de nous poser sans parachute.

Le début de descente G.C.A. n'est pas entendu (ou pas compris) par l'équipage. En vue de la terre, vers 500 pieds, pas de terrain visible malgré une côte découpée qui rend l'identification facile. Et pour cause : le terrain est camouflé ! Le balisage s'allume (demande de l'équipage ou initiative du sol ?). Au moment de l'arrondi, le pilote aperçoit le brin d'arrêt ; peut-on rouler dessus ou non ? Dans le doute, le pilote remet une louche de gaz et se pose long ; peu après, le pilote avise un panneau de distance sur le côté de la piste, lit le chiffre 5, en conclut qu'il reste 500 mètres et se jette sur le parachute, qui s'ouvre normalement, et sur les freins ; mais tout cela est inutile parce qu'il reste en réalité 5000 pieds.

Parking sur une raquette ; le bidon ventral intrigue (c'est peut-être la bombe) ; le doute n'est levé qu'après passage d'un mécanicien armé d'un compteur Geiger. Le colonel, patron de la base, (bientôt muté dans le nord !) visite la place pilote et s'étonne qu'il n'y ait ni bille ni aiguille. L'arrivée du Mirage IV ne fait qu'ajouter à l'air de fête de la base qui accueille ce jour-là un escadron de Harrier britannique. Via la chaîne OTAN, et le CAFDA les FAS sont avertis de l'atterrissage. Notre escadron est enfin rassuré où l'atmosphère, un peu tendue, se transforme en franche rigolade.

Accueil très sympathique des Norvégiens ; mise à disposition des chambres où trône sur chaque table de nuit une bible en norvégien (charmante lecture). Coup de téléphone à l'attaché militaire d'Oslo pour qu'il soit averti d'une part de notre présence et d'autre part pour qu'il mette à notre disposition, dans une banque d'Orland, un peu d'argent pour remplir nos portefeuilles vides de billets l'un et l'autre, d'autant que les consignes veulent qu'une équipe de mécaniciens vienne remettre l'avion en œuvre. On est à l'avant-veille d'un jour férié et le passage à Orland risque de durer.

Attente au mess sous-officiers parce que le règlement affiché du mess officiers est strict et la combinaison de vol y est interdite ; lecture des journaux norvégiens où seuls les problèmes de bridge sont déchiffrables (l'équipage fait équipe dans ce genre de distraction). Et à notre grande surprise, invitation au mess officiers, où a lieu une "party" en l'honneur des Anglais, avec les pilotes et leurs épouses ; en combinaison, on se sentait à l'aise comme vous le pensez. Nouvelle invitation pour le lendemain mais en complet veston, et le patron de la base désigne ceux qui devront apporter qui une veste, qui un pantalon, etc… pour nous habiller correctement. Après cet excellent repas, descente au caveau, sorte de boîte de nuit enfumée par les cigarettes et noyée sous l'aquavit où les fléchettes, jeu favori des Norvégiens, volent dans tous les sens. À minuit (il fait encore jour) fin des festivités, contrôle de la garde de l'avion et coucher dans la chambre sans rideaux.

Le lendemain, réveil un peu douloureux. Le petit déjeuner au poisson cru est excellent, puis thé traditionnel vers 10 heures et surprise ! Message des FAS : retour immédiat, pas d'équipe de remise en œuvre, atterrissage (sans parachute) à Avord où la piste est plus longue. Premier sujet d'étonnement : pas de groupe pour le démarrage ! Deuxième sujet d'étonnement, on apporte une citerne de 3.000 litres pour le plein qui nécessitera 7 ou 8 allers-retours ; nouvelle tentative avec une citerne de 7.000 litres (3 ou 4 allers et retours) pour finalement déstocker une citerne neuve de 40.000 litres plus adaptée à l'appétit du Mirage IV (réflexion de l'officier mécanicien : où mettent-ils tout ce pétrole ?). Démarrage, retour direct et poser à Avord sans histoire. Dissipation des malentendus : le pilote du C-135F a bien proposé ses services lors du déroutement, c'est l'équipage du Mirage IV qui a refusé ; l'ORV, injustement accusé n'est pour rien dans l'incident. Retour à Saint-Dizier où, sur le parking, nous est offert une omelette norvégienne : façon digne de terminer cette escapade !


Michel AUTRET

Date de dernière mise à jour : 08/04/2020

Commentaires

  • Stéphane Bouleige
    • 1. Stéphane Bouleige Le 31/03/2021
    Sur cette histoire, on a la version de Michel Autret mais on n'a pas celle de Bernard Bouleige.
    J'aimerais connaître ce que Bernard Bouleige qui était présent a à dire.

    Stéphane Bouleige.

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