Dépannage en Afrique

Faisons un petit tour en Afrique Noire…

J'étais à Chartres entre deux séjours en Indochine, au Groupe "Poitou", groupe très sympathique d'ailleurs.

Et je fais la ligne régulière Chartres – Tananarive comme Adc commandant d'avion d'un Junkers 52. Il ne fallait pas être pressé : 180 km/h. L'itinéraire ?… il fallait prendre son temps. Une révision en cours de route.

Le problème était que, pour cette mission et cette ligne régulière, j'avais des femmes et des petits enfants comme passagers. Parce qu'à l'époque, le règlement était que, lorsque le mari était affecté outremer, il partait d'abord seul. Il fallait qu'il trouve un logement et ce n'est que lorsqu'il avait trouvé un logement que la famille suivait. Et pour des raisons sordides, financières, au lieu de les faire transporter par Air France qui avait déjà des avions relativement confortables, on traînait ces pauvres femmes et ces enfants dans ces antiques guimbardes.

Ce qui devait arriver est arrivé : un moteur qui grille, qui nous lâche. On se pose, de justesse d'ailleurs à Tessaoua, dans l'Afrique Équatoriale. De justesse, parce que quelque temps auparavant, un équipage de Chartres, avec le Cne Chiron comme commandant d'avion, avait eu une panne de moteur. Ils étaient lourdement chargés et n'avaient pas pu gagner un terrain de secours, l'avion s'était écrasé dans la forêt et l'équipage avait été tué.

Nous, nous avons réussi à nous poser. Mais on était bien embêté. Heureusement, il y avait un petit poste de la Coloniale. Les gars se sont mis en quatre pour accueillir les passagers. J'ai fait le message réglementaire de panne. Le moteur était mort.

Et puis les jours passent : rien du tout.

Je commençais à être ennuyé parce que j'avais la responsabilité de ces passagères et de leurs enfants.

Nous avions été donc accueillis à bras ouverts. L'administrateur civil du coin, un brave homme, un bourguignon, un chic type qui nous accueillit chez lui, nous dit un matin :

- « J'ai peut-être trouvé une solution pour vous »
- « Laquelle ? »
- « Voilà, j'ai le souvenir qu'il y a trois mois de cela, il y a un Junkers 52 d'Air France - parce qu'à Air France, ils n'étaient pas plus riches que nous - sur un terrain de brousse, à 100 km d'ici. Pendant la nuit il a été pris dans une tornade, il a été soulevé et s'est cassé en deux. Mais peut-être bien que les moteurs sont bons. Il faudrait y aller voir ».

Aussitôt dit, aussitôt fait. On est parti avec une équipe de gars de la Coloniale sur un camion anglais, un Thornicroft.

Effectivement il y avait, sur un terrain de brousse, un Junkers qui s'était cassé en deux, mais les moteurs semblaient bons.

On s'en est emmené un et on se l'est remonté sur l'autre Junkers en fabriquant des palans avec des troncs de palmiers, des trucs comme ça. On s'est débrouillé avec l'aide des gars de l'Armée de terre et de braves africains du coin.

On a continué notre route et je suis rentré.

Retour à Chartres, le chef des opérations qui était un brave homme me dit :

- « Dis donc, Adias, tu ne t'es pas beaucoup pressé. Tu te rends compte du temps que tu as mis ? »

Je lui dis :

- « Mais, mon capitaine je m'excuse, mais vous avez reçu mon message de panne ? »
- « Message de panne ? »
- « Mais oui. On est tombé en panne, on a grillé un moteur à Tessaoua »
- « Ah ! Oui, effectivement on a reçu un message. On n'y a rien compris. Alors on l'a mis à la poubelle ».

Ce qui s'était produit, c'est que le message que j'avais envoyé était parti par les réseaux de l'Armée de terre. C'était un message technique et bien entendu, les pauvres gars de la Coloniale s'étaient mélangé les pinceaux et lorsque le message était finalement arrivé - ce n'était pas à l'époque de l'Internet comme maintenant - quand au bout de plusieurs jours le message était arrivé au Groupe, il était totalement illisible. C'était la raison pour laquelle je pouvais toujours attendre le dépannage.

Eh bien ! J'ai été félicité, et le chef des OPS m'a dit :

- « Allons trouver le commandant »

Le Cdt Choffin était un brave homme, il m'a dit :

- « C'est bien. Tu t'es bien démerdé ».

Et il y a un Junkers de l'Armée de l'air qui a continué à voler pendant je ne sais combien d'heures avec un moteur que j'avais piqué à Air France.

C'était l'heureux temps où l'on se débrouillait. Ce serait maintenant, ça ferait un scandale, je me retrouverais certainement en prison entre deux violeurs ou deux incendiaires...


Jean ADIAS

Date de dernière mise à jour : 10/04/2020

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