En Piper sur l'ouest oranais

Décollage sur alerte

Seul pilote disponible, je décolle avec le Lt Petitpierre sur le Béni Ouarsous. Les troupes au sol sont accrochées par une bande armée, ayant franchie la frontière.

Piper alat
Piper Cub

Nous arrivons sur l’objectif à très basse altitude, par le flanc Sud. Les rebelles armés sont si surpris de nous voir aussi près de leurs têtes, qu’ils nous regardent passer, sans avoir le temps d’ouvrir le feu.

Sans attendre Petitpierre, demande l’intervention des Aquilon.

Aquilon
SE "Aquilon"

Nous avons pris de l’altitude en attendant la chasse, sans perdre de vue les HLL (Hors La Loi).

Dès l’arrivée des deux premiers appareils sur la zone, nous piquons sur leur position, et larguons la grenade fumigène pratiquement au centre de leur dispositif, Nous voyons leurs fusils levés vers nous, les fumées qui sortent des canons de leurs armes, qui tirent sur nous.

Nous avons à peine amorcé la remontée, que les premières roquettes tombent sur la partie rocheuse, où les tireurs sont embusqués.

La deuxième patrouille, mitraille le tas de pierraille, où ils se sont bien abrités. Nous voyons très distinctement les impacts des mitrailleuses qui balaient la montagne, à part quelques fuyards, les autres restent à l’abri dans les rochers.

Après le straffing nous descendons au ras de la pente, pour voir les résultats.

Bien abrités derrière des blocs de pierres, ils sont là, immobiles.

Le dernier guidage chasse avec le Cne Janin, dans ce même secteur. Les rebelles avaient décroché, pour repasser la frontière adroitement, par bonds successifs.

Mais cette fois, il semblerait qu’ils veuillent attendre la nuit, pour nous fausser compagnie

       - « Combien sont-ils ? Envoyez un autre fumigène. »

Les trosols continuent leur approche, et nous demandent de faire intervenir l’artillerie. Nous refaisons un nouveau passage, pour baliser au plus près. Le fumigène à peine arrivée au sol est reprise par un homme, qui la jette vers le bas de la pente. Les premiers éléments de chez nous, qui ont pris position sur la crête, qui surplombe les suspects, nous les entendons dans les écouteurs crier :

       - « Piper, Piper ils vous tirent dessus. »

Nous aimerions tant pouvoir rester encore, mais la nuit approche, nous n’avons plus de carburant. Nous faisons un dernier largage, un dernier passage, et nous quittons à regret le lieu de l’accrochage. Nous attendrons, comme à chaque fois, le BRQ pour connaître les résultats de notre intervention.

Nous nous posons à la nuit tombée, après plus de 4 h de vol.

C’est au mess que Dourmap vient nous apprendre, que nous avons été touchés, par deux impacts, à hauteur de la cocarde.

- « Tu es sûr qu’ils n’y étaient pas avant, ces deux trous dans le fuselage ? Je n’ai pas envie de me faire charrier, par les commères qui ont, comme tu le sais, la critique facile. »
- « Non ! Je ne crois pas, mais je regarderai mieux demain »

En définitive le lendemain, vaquant à nos occupations, chacun de nous a suivi son emploi du temps, les vols se sont succédés, comme à l’accoutumé. Personne n’en a parlé.

Intervention jugée suspecte

À la visite prévol, Dourmap qui est de service de piste, me fait remarquer deux pastilles sur le fuselage. Elles se confondent tellement dans les couleurs de la cocarde, qu’il faut avoir de bons yeux, pour voir qu’il y avait deux trous à cet endroit.

- « Tu as vu, me dit-il. C’est du bon boulot. »

Et comme par hasard, je décolle avec le même observateur le Lt Petitpierre. RAV entre Marnia et la frontière. Il fait très beau, le terrain est peu vallonné, la visibilité est parfaite, la mission s’annonce sous les meilleurs hospices.

T 6g
North American T-6G

Quand nous surprenons des suspects qui s’enfuient à notre approche, et se réfugient dans un groupe de mechtas isolées. Le Lt Petitpierre fait immédiatement intervenir les T-6. Après le passage de la chasse, rien ne bouge.

Nous ne verrons plus personne sortir des mechtas. Nous resterons quand même plus de 3 h à tourner sur la zone en attendant des troupes de chez nous, qui ne viendrons pas.

Petitpierre est persuadé que ce sont des hommes armés qui venaient du Maroc.

- « Tu as vu comme moi, ils nous ont même tiré dessus. »

Je ne vais pas entamer une polémique, déjà que je participe peu aux accompagnements des trosols. Si en plus je venais à le contrarier, alors là c’est bien pour de bon, que cette fois, je serais cloué au sol. Et puis depuis quelques jours, j’ai de violents maux de tête, de fortes douleurs dans la poitrine, alors je suis plus préoccupé par mon état de santé, que de savoir si les fuyards ont tiré sur notre appareil.

Le lendemain. Le brigadier-chef Potier m’attend sur la piste pour faire un vol de réception.

- « Vous avez une petite mine, me dit-il. Vous êtes sûr que ça va ? »

J’ai eu beau essayer de cacher mon état, ça ne va pas en s’améliorant.

- « Oui pour une petite demi-heure de vol, y a pas de souci. »

L’altimètre restant bloqué à 500 pieds, le moteur manquant de puissance, la décision est prise. Avec le maréchal des logis Brossay, nous irons remplacer l’appareil à la CRALAT (Centre de Réparation de l’Aviation Légère de l’Armée de Terre) de Sidi Bel Abbés.

Pour un vol prévu de trente minutes je ne rentrerais que le soir venu. Le lendemain ne pouvant plus bouger, je serais hospitalisé à l’hôpital de Tlemcen. Diagnostic : infection pulmonaire. 10 jours couché me dit le docteur.

La prévôté enquête

La première visite ? Les gendarmes, sont venus m’interroger, sur le dernier guidage chasse, effectué dans la région de Marnia avec le Lt Petitpierre.

Le temps d’un salut, ils sont entrés dans le vif du sujet.

- « Les suspects qui vous ont pris à partie, étaient-ils armés ? Car d’après le chef de bord, ils auraient ouvert le feu sur votre appareil. »

Elle est bien bonne celle-là. Que puis-je répondre ?

Et voilà qu’un des gendarmes sort son calepin, pour prendre ma déposition.

- « Alors vous avez intercepté des hommes armés, qui ont tiré sur vous. Et ce à plusieurs reprises. Vous avez donc fait intervenir les T-6. » Et il marque sur son carnet.
- « Cependant l’unité arrivée sur les lieux, a dénombré vingt-sept tués, en comptant les femmes et les enfants, sans découvrir une seule arme. »
- « Elles sont arrivées combien de temps après les troupes au sol ? »
- « Ils n’ont pas précisés. »
- « Et qui prouve que ce n’est que les T-6 qui soient intervenus ? »
- « Mais vous avez bien entendu les coups de feu ? »
- « Vous savez monsieur le gendarme, les avions d’observation voient mais n’entendent pas. »

Le docteur arrive sur ces entrefaites, et demande aux deux gendarmes, de bien vouloir remettre leur interrogatoire après la visite des infirmières. Ils sortent. Je ne les reverrai plus jamais.

Je suis tellement abattu par le traitement, que je n’ai pas vu les jours passer.

À deux jours de ma sortie, je reçois la visite de Galtier. Un pilote avec lequel je n’ai eu que des relations de voisinage, sans plus.

- « Salut toi ! Comment tu te sens ? J’ai appris que tu avais été hospitalisé, j’en profite étant en visite chez des amis, qui n’habitent pas très loin, pour venir prendre de tes nouvelles. »

Je suis surpris que ce soit lui, que je connais à peine, qui vienne me rendre visite.

- « Tu sais qu’on parle beaucoup de toi, suite à ce guidage chasse avec Petitpierre, les langues vont bon train, mais comme tu sais ce ne sont que des rumeurs. Dis-moi en définitive comment ça s’est passé ? »
- « Tu ne serais pas venu pour remplacer les gendarmes par hasard ? »
- « Rassure toi, suite à l’enquête il semblerait que ce soit, des représailles du FLN (Front de Libération Nationale). Tu vois j’en sais beaucoup plus que toi. Non je suis venu car je sais que d’être seul sur son lit de souffrance, c’est long. D'ailleurs je ne comprends pas que personne ne soit venu te rendre visite. »
- « Venir me voir ? Et de quoi pourrions-nous parler ? Des tourbillons marginaux en bout d’ailes ? Des CX et des CZ sur la polaire ?  Ils ne sont intéressés que par des abattées et les sorties de vrilles. Tu vas parler avec ces gars-là toi ? »
- « Ils ne sont pas de mon monde. »
- « Pour ça tu as bien raison, mais tu ne peux pas leur reprocher d’être des fondus d’aviation. »
- « Non ! Ce que je leur reproche, c’est d’être des fondus tout court, avec la bénédiction du père Janin. Qui a pris ma formule à son compte « Bien faire et laisser braire »
- « Je suis content de t’avoir vu, je vois que tu n’as pas perdu ton sens de l’humour. Tu as toujours le mot pour rire. »

Sacré Galtier, je le côtoie depuis près d’un an, et je ne lui ai jamais tant parlé que ce soir.

Ce matin ce sera la dernière fois que je verrais mon médecin traitant, suivi de son infirmière, une maîtresse femme, bien en chair. Qui mène son service, tambour battant. Je quitterais mon voisin de lit, Ahmed, un SgC musulman, blessé par un projectile qui lui a perforé le poumon gauche. Il égrène ses sourates toute la sainte journée, et récite ses prières cinq fois par jour.

Et aussi Abdel, un jeune garçon, qui n’arrête pas de souffler, sous un appareil respiratoire.

Après dix jours, d’odeurs et de pas feutrés, d’une chambre de malades, je vais retrouver sans transition l’animation de la rue, le bruit de la circulation, de gens pressés sur les trottoirs, des 90.000 habitants de la ville de Tlemcen. Enfin !

La liberté n’est jamais aussi belle, que lorsqu’elle est retrouvée.

Auteur inconnu

Date de dernière mise à jour : 14/04/2020

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