Dans une purée de pois anglaise

Je venais d'être affecté sur Vickers Viscount, turbopropulseur, transportant de 40 à 59 passagers. Cet appareil était vraiment différent de tout ce que nous avions connu. Ses particularités et nouveautés étaient nombreuses.

Alors que, jusqu'à cette époque, les changements d'appareils effectués à la suite d'une nouvelle qualification n'avaient posé aucun problème, c'est sur le Vickers Viscount que les premiers échecs furent enregistrés. Effectivement, certains pilotes ne purent assimiler ces nouvelles procédures et s'habituer à prendre toute une série de décisions dans des délais extrêmement courts.

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Vickers "Viscount"

Lorsque le secteur des Vickers Viscount fût créé, ses pilotes furent considérés comme appartenant au "cadre noir" de la Compagnie, appellation qui sous-entendait que, parmi les bons il y avait les très bons, ceux qui avaient réussi la qualification turbopropulseur.

Sur ce type d'avion, les temps d'attente disponible, en fonction de la quantité de kérosène restant à bord, étaient calculés à la minute près. C'est ainsi que lorsque, par exemple, le pilote avait calculé qu'il pouvait attendre 12 minutes, il n'hésitait pas à dégager (c'est-à-dire rejoindre l'aérodrome prévu lors du dépôt de son plan de vol) si la tour de contrôle lui annonçait que son approche ne pourrait se réaliser que dans 15 minutes.

Partant d'Orly pour Londres, les mauvaises conditions météorologiques sur l'aéroport me conduisirent à quitter la zone d'approche pour revenir en France. Malheureusement, Orly étant également dans le brouillard, toutes mesures de précautions prises, c'est à Lyon que nous avons pu nous poser. Quant aux passagers, ils regagnèrent Paris en train, pour arriver, quelques heures plus tard, au même lieu de rendez-vous auquel ils étaient en début de matinée, attendant une amélioration des conditions météorologiques pour pouvoir regagner Londres.

Mais, c'est cet atterrissage dans une purée de pois anglaise que je vais raconter.

Toujours au dessus de Londres, en plein brouillard et ne pouvant revenir à Orly, également impraticable, nous fûmes autorisés à atterrir sur un aérodrome voisin, qui lui aussi était dans le brouillard. À court de carburant, la situation était donc assez préoccupante et avec mon copilote nous étions très concentrés sur cette approche qui devait absolument réussir.

L'existence d'un épais brouillard signifiait qu'il n'y avait pas un souffle de vent. Ainsi, l'approche serait plus facile. En effet, alors que l'avion s'enfonçait dans le brouillard, les indications fournies par nos instruments de bord nous confirmaient que nous restions parfaitement alignés dans l'axe de la piste, simplement avec d'infimes corrections signalées sur notre Zéro Reader.

Dans quelques secondes, l'avion se trouverait à 100 pieds, hauteur à laquelle, si le pilote ne voit pas la piste, il devait, à l'époque, remettre les gaz. Nous étions parfaitement conscients que si nous ne réussissions pas à nous poser du premier coup, une deuxième approche aurait été possible, mais dans les mêmes conditions, à savoir, incertitude sur sa réussite. La suite ne pouvait être qu'un "crash" en pleine nature, sans aucune visibilité, donc explosion, incendie, aucun survivant et peut être, aussi, des victimes au sol !

Gérard annonçait les indications de la radiosonde, instrument donnant, avec une grande précision, la hauteur de l'avion par rapport au sol :

- « 300 pieds … 250 pieds … 200 pieds … 150 pieds … 100 pieds … »    

- « OK, on continue … »    

- « 80 pieds … on est bien centré … 50 pieds … »

Puis, plus rapidement :    

- « 30 pieds … 20 pieds … 10 pieds … on touche … »    

Je maintiens l'avion en ligne droite et il s'arrête assez rapidement, le freinage au­tomatique et maximum ayant été enclenché. Nos regards se croisent et, sans dire un mot, nous avons compris que nous venions de sortir d'un très mauvais pas !

La Tour de contrôle nous annonce qu'une voiture Follow va nous rejoindre pour nous guider jusqu'au parking. Elle n'arrive que 20 minutes plus tard, tant la visibilité est réduite. Enfin, nous en distinguons son feu clignotant, ce qui nous per­met de la suivre, très lentement, pour vingt minutes plus tard, arriver au parking.
 

Jean BELOTTI


Extrait de "Mieux comprendre le transport aérien" (Ed : Vario - 2012)

Date de dernière mise à jour : 30/03/2020

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