Crash en T-28 en Algérie

Le 15-11-1961 dans le sud-Oranais, sur le T-28 n° 85, j'étais équipier d'une patrouille de 2 T-28 Fennec "Cagna vert" leadée par le Lieutenant Cuhna. Le Lieutenant Ribot était mon observateur en place arrière. Notre armement était constitué de 4 mitrailleuses de 12.7, de paniers roquettes SNEB de 68 mm et de roquettes lourdes T10. C'était une de mes premières missions de guerre de mon second tour opérationnel en Algérie.

Nous avions décollé sur alerte de notre Base aérienne de Méchéria en milieu de matinée pour repérer une bande de fellaghas qui, la veille, avaient pris un convoi de l'armée de terre en embuscade et intervenir en appui des troupes au sol. La bande rebelle avait été engagée par le Commando "Georges", commando de harkis, anciens fellaghas passés du côté Français.

Arrivés sur zone, nous avons de suite repéré les rebelles.

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Zone de l'opération (Coll. C. Brunet)

Après avoir pris contact avec le commando, nous avons effectué une passe de tir sur un groupe de fellaghas qui nous visaient et qui tiraient avec une mitrailleuse MG-42, calibre 7,92 mm (arme allemande très efficace).

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Mitrailleuse MG-42 (Coll. C. Brunet)

J'ai tiré une roquette sur ce groupe. Curieusement, je l'ai vue exploser à proximité du fellagha qui me visait (et le tuer) alors que, simultanément, une de ses balles de 7,92 mm atteignait mon avion, perforant le régulateur d'hélice.

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L'impact sur le moyeu de l'hélice (Coll. C. Brunet)

Toute l'huile du moteur s'est échappée en quelques secondes par l'orifice de l'impact, couvrant mon pare-brise d'un film opaque d'huile qui m'empêchait de voir à l'extérieur. L'hélice est passée très vite au grand pas, le moteur a grippé et s'est arrêté.

J'étais très bas, bien trop bas pour que mon observateur et moi puissions sauter en parachute.

Ne voyant rien, j'ai dû me crasher un peu au hasard, droit devant, dans la montagne au milieu des rochers et des touffes d'alfa, n'ayant le temps ni le réflexe de me débarrasser de mes roquettes, de couper les magnétos ou de fermer le robinet de carburant : toutes les conditions pour faire un beau feu d'artifice étaient réunies !

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La zone du crash (Coll. C. Brunet)

L'avion a heurté le sol brutalement. L'aile gauche a été arrachée, l'avion s'est mis sur le nez puis, miracle, est retombé sur le ventre. Un étrange et assourdissant silence a suivi le crash. Tout cela a dû durer une ou deux minutes.

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Après le crash (Coll. C. Brunet)

Je suis descendu de mon avion emmenant les quartz radio, ma carabine US M-1, mes cartes et documents et j'ai été me cacher derrière une touffe d'alfa à quelques mètres de l'épave, car je voyais des musulmans courir vers moi à quelques centaine de mètres, mais j'étais incapable de savoir s'ils étaient des ennemis ou le commando "Georges".

Des ennemis, s'ils nous avaient capturés, nous auraient mutilés, malgré le laissez-passer (avec promesse de forte récompense en cas de remise aux autorités françaises) et le sauf-conduit que chaque membre d'équipage avait sur lui.

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Sauf-conduit avec promesse de récompense : 300.000 francs  (Coll. C. Brunet)

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Laissez-passer (Coll. C. Brunet)

 

J'ai alors réalisé que mon observateur était resté KO dans l'avion. J'ai été le chercher et nous nous sommes cachés à nouveau.

"Cagna vert leader" tournait au-dessus de nous et maintenait les ennemis éventuels à distance. Mon observateur et moi l'avons béni !

Les harkis du sous-lieutenant Riguet sont arrivés les premiers, et nous ont protégés des fellaghas qui venaient vers nous.

Puis, très vite, un hélico-canon s'est posé à proximité et nous a emmenés vers une base de l'Armée de terre voisine.

Le lendemain, de retour sur ma Base aérienne à Méchéria, je redécollais en T-28.

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Récupération de l'appareil (Coll. C. Brunet)

Ai-je eu peur ? Non, sur le moment en tous cas. Car dans cette situation on n'a absolument pas le temps de penser, tout se déroule trop vite.

Mais il faut reprendre de suite l'activité aérienne sans réfléchir, sinon …

J'ai ensuite eu l'occasion de retrouver le Commandant Georges et les hommes du commando qui, en raison des liens qui s'étaient créés, m'ont souvent invité à participer à des opérations au sol avec eux. Mon arme était une carabine US M-1.

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Carabine US M1 (Coll. C. Brunet)

J'étais alors le seul Européen au milieu de 20 harkis. De sacrés gars, mangeant en tout et pour tout une boite de sardines dans la journée tout en effectuant plus de 50 kilomètres en 24 heures dans le djebel en pleine chaleur, avec tout leur équipement.

J'ai assisté bien sûr à leur passage dans les douars, et à leur façon d'opérer pour obtenir des renseignements ! C'est une autre affaire…

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"Visite" de douar (Coll. C. Brunet)

Leur chef, le Sous-lieutenant Riguet (Algérien, ancien fellagha), un des 4 chefs de Katiba du commando "Georges", est devenu mon ami.

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Avec les SLt Smain et Riguet, chefs de katiba (Coll. C. Brunet)

Après l'indépendance, il a fait le choix de rester en Algérie, croyant aux promesses de clémence du FLN, mais il a été capturé par les fellaghas et tué de façon atroce. Comme beaucoup de membres du commando Georges et de harkis de toutes unités.

"Le Sous-lieutenant Riguet sera trainé dans tous les douars de la région de Marhoum, frappé, insulté. Puis il sera saigné, brulé, dépecé, ébouillanté. 21 de ses hommes qui l'avaient suivi vont assister à son martyr puis le suivre dans la mort."
 - Général R. Gaget, patron du commando "Cobra" -

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Le SLt Riguet. "Un chef de guerre hors du commun"
dira de lui le Lieutenant Georges Grillot, commandant
du commando Georges (Coll. C. Brunet)

Nous leur devons beaucoup. Ils ont mérité mieux que ce que nous leur avons donné en reconnaissance.



Claude BRUNET

Lire le livre : "Commando Georges. Des harkis de feu" du Général R. Gaget. (Éd : Jacques Grancher)

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Date de dernière mise à jour : 08/04/2020

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