Bombardement en Yougoslavie par la 11F

Mai 1999, 03 h 00

Sous la lumière blafarde des néons de la salle de préparation du Foch, je viens de prendre connaissance de ma mission. Il s'agit d'un BAI (Battlefield Air Interdiction) en Serbie, à Boljevac. Nous devons attaquer un dépôt de munitions situé à 20 nautiques à l'ouest de la frontière serbo-bulgare et à plus de 220 nautiques du Foch.

Les noms de villes font penser aux films catastrophes sur la 2ème Guerre mondiale. Terrain de déroutement : Sofia en Bulgarie ! La salle de préparation bourdonne comme une ruche. Pendant que certains calculent des coordonnées géographiques pour la centrale à inertie de l'avion, d'autres regardent les photos satellite sous toutes leurs coutures pour mémoriser les repères qui permettront d'identifier la cible dans le combiné de l'avion illuminateur.

05 h 30

Les dernières photocopies sortent enfin, chacun découpe et organise son petit package et prend place dans la salle d'alerte du porte-avions.

Le leader du strike briefe le vol. Nous sommes huit SEM à aller attaquer des objectifs dans cette zone ce matin. Avec les pilotes spares et les pilotes "nounous" (SEM équipés d'une nacelle pour le ravitaillement en vol), nous sommes une quinzaine à assister à ce briefing. Dernières consignes, dernières recommandations.

06 h 30

- "Aux avions !" l'ordre est sorti d'un haut-parleur depuis la passerelle aviation du Foch.

Chacun vérifie son équipement de survie, sa balise de détresse, son pistolet (chargé), met son casque et se dirige vers le pont d'envol. Brêlage, actions vitales, mise en route, rien ne distingue ce qui est en train de se passer des vols normaux en temps de paix, si ce ne sont les bombes à guidage laser GBU-12 bonnes de guerre fixées sous les ailes des avions tireurs et le pod Atlis 2 monté en ventral sous les avions des "pointeurs".

Dès la fin des mises en routes, le pont se vide de tous ses mécaniciens, la quinzaine de SEM attend patiemment les quelques minutes qui la sépare de son "B" : l'heure prévue du catapultage.

07 h 00

"Pedro", l'hélicoptère de sauvetage vient de décoller. Sous les ordres des "chiens jaunes", les avions se dirigent prudemment vers les deux catapultes. Les "nounous" partent toujours en premier. Tensionnement de l'élingue, salut du pilote. Une accélération brutale vient arracher les 11 tonnes du Super-Étendard au pont d'envol. En moins de 60 mètres, la vitesse passe de 0 à 200 km/h.

Toutes les 40 secondes, un avion quitte le Foch et grimpe rapidement vers l'orbite de rassemblement où il retrouve sa "nounou" pour prendre du pétrole. Aujourd'hui, il faut prendre 700 kg par avion pour pouvoir aller aussi loin en Serbie.

07 h 20

Les "nounous" rentrent vers le Foch tandis que les avions d'assaut montent dans le ciel en direction du Kosovo. Le trajet prévu nous fait traverser tout le Kosovo en diagonale du sud-ouest vers le nord-est. Il fait beau, nous sommes bien à l'heure. Tout va bien.

L’AWACS nous a identifiés, nous sommes "clear to proceed" sous la protection de nos SEAD (Suppression of Enemy Air Defenses), un pool de F-16 et de EA-6B américains qui progressent avec nous vers la Serbie. Ils sont notre assurance-vie face aux missiles SA-6 et SA-3 qui, malgré maintenant un mois de frappes, continuent d'être actifs.

Sur le pont du Foch, nous avons reçu les derniers updates sur les sites actifs. Il s'en trouve un juste à notre point initial d'attaque, ce qui nous oblige en ce moment à recalculer une passe d'attaque différente.

À mesure que nous avançons en territoire ennemi, la fréquence radio de l'AWACS est progressivement brouillée par les Serbes. Ils diffusent des chants patriotiques slaves pour gêner nos transmissions.

07 h 40

J'arrive à 10 nautiques de mon "initial". J'ouvre le heaume de mon pod de désignation laser et commence à rechercher le pont qui va permettre au calculateur de trouver sa cible. Un coup de télémétrie laser et la tête se positionne sur le but qui est encore à 40 km. Dans la visu du pod Atlis, l'image est pour le moment inexploitable. Peu à peu, les contours du relief se précisent. L'image commence à ressembler à la photo satellite que j'ai apprise par cœur tout à l'heure.

Je suis à 25 km. Ça y est ! Je reconnais le dépôt et ses petites casemates. Je fais glisser mon pod à la recherche de mon DPMI (Desired Mean Point of Impact). J'autorise mon équipier à débuter sa passe de tir pour larguer sa paire de GBU-12.

- « Tom, IN » m'annonce-t-il, en prenant ses éléments de tir.

- « Tom, bombes parties ».

Ça-y est, le plus dur va commencer : ne pas perdre l'image du pool pendant les 40 secondes de chute des bombes. Le moindre nuage qui viendrait occulter le faisceau laser et tout serait raté. Mon tracker vidéo clignote pendant une éternité. J'attends de voir l'impact dans ma vidéo. Tout d'un coup, une énorme fumée vient envahir ma visu : "Bingo !".

07 h 45

Nous sommes encore à plus de 400 km du Foch, en pleine Serbie. À la radio, on sent que ça commence à chauffer. J'entends les F-15 :


- "Corvette 51, defending, slappy 080/60".

Ils sont aux prises avec une conduite de tir SA-6 ou SA-3. On entend des "magnum magnum", annonces des avions SEAD, qui viennent de tirer leurs missiles antiradars HARM. Nous apprendrons le lendemain qu'ils ont dû larguer toutes leurs charges pour effectuer des manœuvres défensives antimissiles.

On entend toujours en bruit de fond de la musique serbe. Ce n'est pas proprement rassurant. Nos avions font ce qu'ils peuvent pour quitter le territoire ennemi. Notre vitesse maxi de Mach 0,95, paraît désespérément lente ! Enfin la côte de l'Adriatique se profile au loin, dans cinq minutes nous serons au "break" pour appontage à bord du Foch.

Mission accomplie. Une de plus pour nous et les "mécaé" qui ajouteront une silhouette de bombe ou d'illuminateur sur le flanc de nos Super-Étendard.

Lieutenant de Vaisseau P.V.

Date de dernière mise à jour : 03/04/2020

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