Au CEMPN de Strasbourg

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… puis, ouverture du CEMPN (1) de Metz

Nous sommes en juillet. La moitié des personnels du Grand 3 est en vacances… Et en juillet, il y a la Fête Nationale !
Cette année, l’ALAT défile sur les Champs Élysées. Mais pas à pieds : en vol, une première !

Une semaine avant le départ pour la base de Brétigny-sur-Orge, je suis convoqué à ma visite d’aptitude Personnel Navigant de Strasbourg. La route matinale, puis la visite se déroulent normalement…

Arrive le check-up "ophtalmologie".

L’infirmière effectue les premières vérifications et tests. Tout baigne, je vois bien, Ouf, pas de PB particuliers… Ça va être reparti pour les
2 ans de validité de ce "check-up" dans l’ALAT.

Arrive un moment, lors de ses vérifications, où elle me dit:

- « Vous savez que vous avez une dioptrie Schmu (?) de +3 ? »
- « Gasp ! C’est quoi c’truc me dis-je… »
- « Mais bon, vous êtes dans la norme. D’ailleurs, si vous voulez, on peut vérifier… »
- « Bin…euh…Pourquoi pas ? J’ai le temps. »
- « Bon, installez-vous à cette table devant cet instrument. Vous poser le menton sur le repose-menton, vous regardez dans les oculaires, vous y verrez un lion d’un coté et une cage de l’autre. Avec cette molette, vous déplacez le lion pour le mettre dans la cage ».

Bon, menton posé, je bidouille la molette et, se levant, elle me dit :

- « Attendez. Je vais enlever ce truc… »

Le truc en question est une espèce de segment en plastique destiné je suppose à maintenir un filtre ou un truc comme ça, sur cet oculaire.

Elle commence à faire glisser ce segment qui, lorsqu’il arrive au bout de l’oculaire, lui échappe des doigts sous l’effet de son élasticité et PAF, je me prends ce truc violement en plein dans l'œil gauche. Détail : je prends dans l'œil la partie la plus tranchante, enfin la partie avec un arrête un petit peu "vive".

Elle :

- « Oh, Mince ! Je suis désolée… Mince, Mince, je vous ai fait mal ? »

Moi : mon premier réflexe est de dégager mon menton et de plaquer ma main gauche sur l’œil incriminé en fermant les deux yeux.

Mon deuxième reflexe est… d’éclater de rire !

Pensez donc : je viens pour mon aptitude PN et je repars inapte, le pire truc malchanceux qui peut arriver à un pilote, c’est "rigolo", non ?

Enfin, je remarque que mes paupières sont fermées de manière très ferme, un réflexe d’auto-défense peut-être ? Mes 2 paupières sont "soudées-verrouillées".

L’infirmière ne sait plus où se mettre :

- « Voulez-vous que j’appelle un Docteur ? »

Sans attendre ma réponse elle crie :

- « Docteur, Docteur, venez vite ! (la porte de la pièce est ouverte). Vite ! »

Malgré la "soudure" de mes paupières, je commence… à pleurer de l'œil droit ! Et je sens mon œil gauche qui commence à me faire mal, ou plutôt, qui commence littéralement à me brûler.

- « Docteur vite ! »

L’infirmière ne sait vraiment plus où se mettre.

Mon œil droit arrive à s'ouvrir, il en coule … un torrent de larmes.

Un ophtalmo arrive enfin… Elle lui explique "l’incident" rapidement. Ce dernier m’invite à le suivre et à passer dans la pièce d’à côté. L’infirmière nous suit.

On est assis l'un en face de l'autre... À ma gauche, un énorme truc d'ophtalmo.

Il me demande d'enlever ma main gauche toujours cachant l'œil percuté... et fermé.

Main enlevée, il me dit :

- « Ouvrez l'œil. »
- « J'essaye Toubib. Mais… ça marche pas »
- « Hum... Je vois... Bougez pas... »

Il ouvre un tiroir, prend un flacon de collyre X, pose deux de ses doigts pour ouvrir de force ma paupière gauche et me met une sacrée giclée de produit à Mach 2.2 dans mon œil ouvert de force.

Ça coule de partout mélangé avec mes larmes... Purée !

- « Bougez pas... »

Et j'me r'prends une deuxième giclée plein badin, et 10 secondes après, mon œil s'ouvre...

- « Ah, Toubib : ça marche... »
- « Oui, oui, votre œil est anesthésié... »

Il est ouvert certes, mais je ne vois rien de l'œil gauche. Rien du tout. Le noir complet. Oh, c'est pas cool ça... »

Le toubib tire une poignée et l’énorme truc d'ophtalmo sur ma gauche, se positionne entre nous deux et le toubib d'annoncer :

- « Posez le menton sur le truc, là... »
- « Vous rigolez ? On m'a déjà fait c'coup là dans la pièce d'à côté » dis-je en souriant.

Bon, j'obtempère...

Il me dit :

- « Je vais vous faire un fond d'l'œil, avec une lumière... »

Et je me prends 3.000 watts méga aveuglants en plein dans l'œil incriminé. Oh la vache !

Il observe et dit :

- « Oh purée ! Elle est balaise celle-là !... »

L'infirmière a failli s'évanouir.

- « Détendez-vous "machine" (j'm'souviens plus de son prénom...). Grâce à vous, ce jeune homme va prendre 15 jours de vacances »

L'infirmière recommence à respirer...

Et moi :

- « Ça m'étonnerais ! Je défile en hélico sur les Champs Élysées, la semaine prochaine... »
- « Ça, c'est pas prêt d'arriver, me répond le toubib. »
- « Vous avez une belle érosion cornéenne ! Vous êtes pas prêt de décoller »

Oh la vache ! Un pilote de moins pour défiler, en cette période où la moitié des pilotes sont en vacances... Ils vont apprécier au régiment...

Il ouvre un autre tiroir, prend une compresse énorme, me l'installe sur l'œil, coupe 2 longs bouts de sparadrap, m'installe tout ça, remplit une ordonnance, fais un courrier à un confrère de Metz (en m’invitant à le rencontrer pour une visite de contrôle) et me prie de prendre congé.

J'imagine ma tronche (on ne voit que l’énorme compresse blanche sur mon visage) quand l'infirmière (peu fière…) me raccompagne à la sortie de la zone ophtalmo...

- « Au suivant... »

En traversant la salle d'attente, un type qui lisait m'aperçoit et change de couleur en voyant ma tronche et cette énorme compresse posée à la va-vite sans idée de discrétion aucune... Ébahi... !

Je marche pas vite dans les couloirs... La vision monoculaire, c'est pas l'top !

Arrive l'officier, Chef de centre :

- « Bon, en ce qui vous concerne, … on va arrêter là, hein »
- « Pas de PB, mon Colonel et on se revoit ici un peu plus tard... »
- « Ah non, on ferme. Vous ferez l’ouverture du CEMPN de Metz »
- « Ah, Bon. »

Et me voici sur le parking véhicules. Bin ouai, j’étais venu en voiture…

Première difficulté : mettre un "coup au but" avec ma clef de serrure pour ouvrir la porte conducteur. Avec un seul œil, c’est pas l’top.

Arrivé à mes fins, je teste la marche arrière sur le parking désert… Ouf, ça marche (enfin, ça recule…) bien. Et me voici prêt à prendre une rue principale à forte circulation, 2 fois 2 voies… Et là, c’est moins cool.

Ah ça y est : je roule pas vite, sur un œil donc, en pleine ville.

Un réflexe de conduite me fais tourner la tête sur la gauche, pour voir l’angle mort dans mes 7/8 heures. Et là, je ne vois que le montant de la porte. La "visi" n'est vraiment pas terrible… Mais alors, pas terrible du tout.

Bon j’adapte un max et roule toujours pas vite.

Arrive le moment où, ayant tourné la tête sur ma gauche, j’aperçois un truc, un éclat blanc sur ma droite. C’est le feu de recul d’un mec qui recule franco. Oups ! Tête à droite, je vois l’arrière de ce mec qui va me percuter en reculant.

Hop, un coup de volant sur la gauche pour éviter le crash de mon phare avant droit et l’aile de ma bagnole (une R5) qui va avec. Ouf ! Ça passe.

Mais je n’avais pas vu en faisant cette manœuvre, qu’un motard avait commencé à me dépasser sur ma gauche. Oups !

Il fait aussi un sacré écart pour ne pas se faire toucher par mon coté gauche !!!

Sa réaction immédiate est d’armer son pied droit portant d’une botte de moto toute revêtue de pièces de métal ou presque, pour me filer un coup dans ma portière en signe de vengeance d’avoir effectué cette manœuvre… Son visage traduit sans faillir son esprit destructeur à l’égard de ma carrosserie.

Mais voyant l’énorme compresse sur mon œil gauche, il se réfrène (à contrecœur semble-t-il…). Ouf, ma carrosserie est sauvée… Mais pas moi, je suis loin d’être arrivé à Étain.

J’appelle un pote de promo qui habite à Phalsbourg, au 1er Régiment d’Hélicoptères de Combat. J’y passe l’après-midi, et suis invité à diner tôt, cause durée de la route du retour.

À peine arrivé chez lui avec mon énorme compresse, son épouse, infirmière (ils sont tous deux en congés) me mets les 6 gouttes dans l’œil. Récidive en milieu d’après-midi et avant mon départ. Bien sûr, je me suis fait disputer !

- « Tu vas pas rentrer comme ça. Tu restes dormir ici, dans la chambre d’amis ».

Je n’obtempère pas, je suis attendu demain à l’aube à l’escadrille.

Et je repars, la nuit étant tombée.

10 minutes après mon départ, coup de pompe, plus de piles. Et de nuit, avec la vision d' un seul œil, c’est vraiment pas le top.

Bon tant pis : marche ou crève !

Repère : l’essuie-glace de gauche sur la ligne gauche de la chaussée de l'autoroute me permet de doubler les énormes camions de 38 t sans encombre, et sans même les regarder… En toute sécurité. À 110 km/h sur l’autoroute, de nuit… avec une vision monoculaire. J'ai simplement aussi ouvert ma fenêtre, et à cette vitesse, ça tient éveillé à tous les coups !

Retour "maison", enfin Régiment sans encombre… Une petite sieste nocturne et je me présente à 8 h à la 5.

La tête de mon Capitaine…

- « Qu’est que vous me faites, vous ? C’est quoi c’t’affaire ?» dit-il en voyant ma compresse…
- « Mes respects du matin mon Capitaine. Navré mais je suis inapte pour le défilé aérien sur les Champs. Et pour les 15 jours suivants… ». Et lui raconte comment ceci est arrivé…
- « Manquait plus que ça ! Un pilote de moins… Où vais-je trouver un remplaçant. Pppfff… »

Une semaine après mon "pètàl’œil", je consulte un spécialiste conformément au courrier de l’ophtalmo de Strasbourg.

Je m’assois dans la salle d’attente, toujours avec cette compresse un peu plus discrète que la première, devant un appelé du contingent qui a la même compresse sur son œil gauche…! On a éclaté de rire tous les deux. Et chacun de nous de raconter à l’autre comment c’est arrivé… Lors de cette visite, l’ophtalmo constate que mon érosion est en bonne voie de guérison…

Bon… Durant la semaine des entraînements au centre d’essais en vol de Brétigny-sur-Orge. Je retourne chez ma mère non loin de là, et sert de chauffeur aux gens de l’escadrille qui souhaitent se rendre à Paris, visiter ou découvrir des restos… Fin du défilé, je reste chez "Maman"… La fin de mon congé maladie débute à Metz, pour l’ouverture du nouveau CEMPN…

Revisite chez les ophtalmos… Tout va bien, RAS. De nouveau Apte au vol pour les deux ans à venir… Ouf !

Depuis, chez l’ophtalmo, je rase les murs et je tape la méf…


Denis ROCHARD

(1) CEMPN = Centre d'Examen Médical du Personnel Navigant

Date de dernière mise à jour : 07/04/2020

Commentaires

  • Paitrault
    • 1. Paitrault Le 01/07/2020
    Bonjour, j'ai lu avec attention ce récit qui, sur le coup, peut passer comme anecdotique mais avec le temps peut générer des séquelles. Je vous dis ça parce que en avril 1966, au Cisalat d'Essey-les-Nancy, pour commencer une progression vers pilote d'hélico, j’ai été victime d’un double traumatisme sonore à la suite d’un tir au MAS 36, sans casque antibruit, l’instructeur n’en avait pas assez, il en manquait un. Ce qui m’a valu 10 jours à l’hôpital Dominique Larrey (?) de Nancy, fermé maintenant, d’où je suis sorti presque aussi sourd qu’à l’entrée. Je n’ai pas continué la progression.
    Plus tard, j’ai voulu faire reconnaître cet accident, impossible car les instances médicales militaires ont traîné les pieds et m’ont demandé des documents que bien sûr, à 19 ans lors des faits, je n’avais pas. Maintenant, j’en subi les séquelles.

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