Arraisonnement de nuit en Algérie

Avant-propos

Au cours de l'année 1958, la guerre d'Algérie, bien installée depuis trois ans, ressemblait à une partie d'échecs. Chaque jour, de nouveaux pions étaient avancés.

Plusieurs sources de renseignements permettaient de penser que les rebelles recevaient des renforts en armes et matériels par voie aérienne, de nuit. Les quelques stations radar de l'Armée de l'air, éparpillées sur ce vaste territoire, équipées de matériel sûr mais ancien et de portée limitée, avaient à plusieurs reprises, détecté des échos non identifiés, de façon fugitive, ne permettant pas de déduire avec certitude, à quel genre d'activité se livraient ces avions. Il devenait urgent de contrôler l'espace aérien algérien.

L'État-major de l'Armée de l'air décida de créer une escadrille de chasse de nuit, appelée ECN 1/71, qui serait basée à Tebessa pour plusieurs raisons :

- proximité de la frontière tunisienne,
- proximité des Aurès-Nementcha,
- position centrale pour opérer avec un maximum de chance et de rapidité, vers le sud, sur les Aurès ou sur le Constantinois.

Les équipages furent constitués à partir de la 30ème Escadre de chasse de nuit, basée à Tours. Pilotes et navigateurs-radaristes volaient alors sur biréacteurs Gloster Meteor NFXI et sur Vautour II N. L'interception de nuit, tous feux éteints, à toutes altitudes et par tous temps, était leur spécialité.

Il restait à trouver un avion capable de voler à basse altitude, avec une autonomie suffisante pour tenir éventuellement l'alerte en vol, donc pas trop rapide, équipé d'un radar d'interception et d'un armement air-air (canons ou roquettes).

Là encore le choix fut rapide. L'avion existait au sein de la 30ème Escadre. Il servait à former les navigateurs aux techniques d'interception avant de les affecter sur les chasseurs à réaction. Cet avion était le bimoteur Flamant MD-315R équipé d'un radar AI Mk X (celui du Meteor). Il volait en croisière à 150 kt (280 km/h) et pouvait atteindre 205 kt (380 km/h).

Araisonnement 1
Le MD-315R Radar

On l'équipa d'un collimateur et l'on fixa deux paniers lance-roquettes (14 SNBE de 65 mm) sous les ailes. Quelques vols de prise en mains pour les pilotes et l'Escadrille se mit en place à Tebessa en septembre 1958.

La mission était simple. À partir d'une alerte au sol où en vol, la station radar vous guidait au plus près de l'écho perçu sur ses écrans, jusqu'à ce que le navigateur-radariste "accroche" le contact sur son radar de bord. Il fallait s'approcher par l'arrière avec une faible vitesse de rapprochement, et obtenir le "visuel" sur la silhouette de l'avion à intercepter, venir se placer en patrouille serrée à droite pour l'éclairer à l'aide du phare d'aile afin de renseigner le sol sur le type d'avion, l'indicatif, l'obliger à engager un dialogue radio et le faire atterrir sur un aérodrome ami.

En un mot, cela s'appelait "arraisonner". Si le pilote arraisonné n'obtempérait pas, il fallait effectuer un tir de semonce et s'il persistait, l'abattre. Mission simple, comme je l'ai énoncé plus haut, mais un peu "pointue" dans la réalité des faits.

Le principe de l'alerte en vol, bien que lourde en heures de vol, en potentiel avion et résistance des équipages, était le seul qui permettait les délais les plus courts pour intervenir.

Un avion décollait tous feux éteints de Tebessa, Bône ou Biskra, à une heure chaque fois différente. Il effectuait, sous contrôle radar, une navigation à 3.000 m, son ronron régulier n'éveillait aucun soupçon à cette altitude qui lui permettait, en cas de besoin, de fondre sur un avion non identifié repéré par le sol.

Le chasseur se posait sur un autre terrain, après 3 heures de vol. Deux autres avions étaient en alerte à 15 minutes au sol. Les stations radar avaient chacune un secteur de détection et cette partie Est de l'Algérie était couverte par les radars de Bône (Bouzizi), Ain Beida (mi-chemin entre Constantine et Tebessa), Bir El Ater (sud-est des Nementchas et proche du sud tunisien), Biskra (sud des Aurès et ouverte sur le Sahara), la partie ouest et la frontière marocaine représentait le secteur d'Oran la Senia.

Bientôt, une véritable complicité s'établit entre équipages et contrôleurs et cette mutuelle estime forgée tout au long de nuits de veille augmenta incontestablement l'efficacité du tandem.

La réputation des chasseurs de nuit fut rapidement faite, par les récits de pilotes amis qui avaient été interceptés parce qu'ils étaient hors de leur route, ou bien rejoignant leur terrain de destination, de nuit sans plan de vol, sans contact radio, ou tout simplement n'appartenant pas à l'Armée de l'air et ne se sentant pas concernés.

Ce long préambule a pour but, comme au théâtre, de bien situer le lieu de l'action, l'époque où se joue cette action, et les acteurs en présence.

Il a surtout l'ambition de mieux faire comprendre aux camarades non-initiés aux choses de l'air, la somme de travail et de préparation nécessaires pour qu'un équipage soit opérationnel et la tension qui anime ce même équipage lorsqu'il décolle pour une mission d'interception.

Le récit qui va suivre est celui de l'une de ces missions, effectuée par l'auteur.

Algérie, décembre 1958

Voici deux mois que les contrôleurs de la station radar d'Oran remarquent des échos inhabituels et fugitifs, à une centaine de km dans le sud-ouest d'Oran. Chaque fois, la trace apparaît sur deux tours de balayage de l'antenne et disparaît pour réapparaître 20 minutes plus tard, sensiblement au même endroit. Deuxième point brûlant, ces faits se produisent 2 à 3 nuits sans lune consécutives, entre 19 et 22 heures et après le 15 du mois.

L'État-major informé décide de mettre un chasseur de nuit à la disposition de la station radar d'Oran dès que se manifestera l'intrus.

Fidèle au rendez-vous, il fait son apparition sur les écrans dans la nuit du 15 décembre à 19 h 43.

Le 16 décembre, en début d'après-midi, le MD-315 n° 16 quitte Tebessa et se pose 3 h 50 plus tard sur l'aérodrome d'Oran la Senia. L'équipage est composé du lieutenant Bellet (pilote commandant d'équipage), de l'adjudant Aimé (navigateur-radariste), du sergent-chef Brocard (mécanicien). Son indicatif opérationnel est Rengaine Noir.

Sitôt atterri, l'équipage est emmené à la station radar distante de quelques centaines de mètres pour un "briefing" avec les contrôleurs.

Tous les renseignements sont analysés avec minutie, étude du secteur sur les cartes, technique d'interception, météo, révision des procédures et des mesures d'arraisonnement. Nous convenons de prendre l'alerte au sol à 15 minutes dès la nuit, c'est-à-dire 18 heures. Nous avons un sandwich que nous faisons passer avec une bière et l'attente commence.

Dix fois, chacun dans son domaine, nous vérifions que rien n'a été oublié : cartes, fréquence, lampe électrique... l'avion est à 30 mètres du téléphone. Brocard l'a fait tourner et le maintient chaud, prêt à rouler, évitant ainsi toute perte de temps. Aimé et moi ne parlons pas. Nous volons ensemble depuis bientôt trois ans, d'abord sur Meteor, puis sur Vautour. Nous avons une confiance réciproque absolue forgée par plus de 800 h de vol en équipage.

À minuit, le chef contrôleur fait cesser l'alerte, l'avion n'est pas venu.

La journée du lendemain s'écoule avec lenteur. Pour la énième fois, nous faisons répéter aux contrôleurs la direction, la position, l'altitude estimée de l'écho suspect lors de sa dernière détection. Nous passons à la météo : ce n'est pas fameux. De gros cumulus dont la base est à 1.000 m et qui bourgeonnent vers les 5.000 arrivent du Maroc. Ils auront tendance à s'aplatir un peu avec la nuit mais en se soudant.

La température est de 5 degrés au sol avec un petit vent du nord frisquet, c'est l'hiver, même en Algérie.
Ce qui nous soucie, ce sont les risques de givrage car, à partir de 800 m, les températures seront, négatives.

Vers 17 heures, nous rejoignons Brocard qui a préparé le Flamant. Les pleins sont complets, tout est vérifié, on peut lui faire confiance.

Pendant qu'il procède aux essais des moteurs, Aimé met son radar en marche, contrôle les tensions, fait un dernier réglage, essaye son interphone (pour avoir les mains libres nous parlons par l'intermédiaire d'un "laryngophone"). Pour ma part, je fais des essais radio avec la tour de contrôle, avec les radars d'approche et d'interception. J'essaye le radio-compas et le laisse sur la balise d'Oran (son aiguille m'indiquera toujours la direction à prendre pour regagner le terrain). Les contacts armement et roquettes sont testés. Toutes ces vérifications sont indispensables et ne seront pas à refaire en cas de décollage sur alerte.

Nous rejoignons le téléphone pour signaler à Oran Radar :

« Avion disponible, prêt à décoller »

et nous reprenons la 15 minutes, faussement décontractés, allongés sur nos "relax".

Toute l'activité de jour a cessé, les cars ramenant les personnels en ville sont partis, nous avons l'impression d'être seuls sur cette base étrangement silencieuse.

19 h 30, le téléphone grelotte, nous bondissons des fauteuils :

- « Nous avons le contact, il est là ! Préparez-vous à décoller, deux contrôleurs arrivent en voiture avec les ordres ».

J'accuse réception, tout en m'étonnant que le contrôleur n'ait pas dit Scramble (1). J'imagine que c'est une précaution contre les indiscrétions téléphoniques. Je ne pense pas plus longtemps car la voiture arrive "à fond la caisse", deux diables en jaillissent, courant vers l'avion. En fait, c'est tout simple, ils souhaitent participer à la mission, à leur mission.

Je lance les deux moteurs et m'installe (parachute, harnais, casque, radio...), Brocard enlève la dernière cale, les sécurités de trains, branche les prises roquettes et saute dans l'avion en assurant le verrouillage de la porte, pendant qu'Aimé équipe les deux contrôleurs en parachute et casque. Nous roulons déjà.

- « Oran Airport - Rengaine Noir, consignes, roulage pour décollage sur alerte ! »

- « Rengaine Noir : Piste 25, vent 10 nœuds dans l'axe, pression 980 millibars. Vous êtes clair, rappelez avant de pénétrer et décoller (je ne vous vois pas). »

- « Oran Airport - Rengaine Noir, feux éteints, décollage Top »

À pleine puissance, la vitesse monte très vite nous voilà en l'air. Train rentré, volets rentrés. À 130 kt je laisse monter la "bête" en virant doucement vers le cap 230. je consulte mon chrono : 7 minutes se sont écoulées depuis le coup de téléphone.

Je quitte la fréquence de l'aéroport et appelle de suite Oran Radar :

- « Oran Radar - Rengaine Noir en montée vers 2.500 m, cap 230, bonne visibilité pour le moment. »

- « Rengaine Noir ici Oran Radar, j'ai le contact radar sur votre avion, l'hostile est à 50 miles nautiques dans vos 11 heures (2) »

Je dispose d'un petit quart d'heure avant le début des choses sérieuses. Un coup d'œil aux cadrans, toutes les aiguilles sont dans le vert, les deux 12 S tournent à 3.250 tours/mn, bien synchronisés. J'allume le collimateur, baisse la luminosité de toutes les lampes du bord, j'aurai besoin de bien voir dehors tout à l'heure. J'entends dans les écouteurs, la conversation des deux contrôleurs qui questionnent Aimé sur les performances de son radar. Il faut préciser pour une meilleure compréhension que le pilote est assis en place gauche (l'avion n'a pas de double commande), le mécanicien est en place droite et le navigateur radariste à sa table de travail et ses scopes dans la carlingue. Il est assis perpendiculairement au sens de la marche.

- « Rengaine Noir ici Oran Radar, contact perdu avec l'hostile. J'ai toujours contact sur vous. »

- « Oran de Rengaine Noir, passant 1.500 m en montée toujours en ciel clair, avec une grosse masse nuageuse à ma gauche »

- « Rengaine Noir de Oran, contact repris hostile à 15 nautiques dans vos 10 heures. Virez à gauche au cap 180 »

- « Rengaine Noir reçu, passant 2000 m. Altitude estimée de l'hostile ? »

- « Oran : légèrement plus bas que vous. Stabilisez altitude. Écho 10 nautiques, suivant un cap 090 défilera de droite à gauche. »

- « Rengaine Noir reçu. Je rentre dans la couche, aux instruments altitude 2.000 m, vitesse 161 kt, cap 180.

- « Oran : hostile à 8 nautiques 1 heure. »

Là, les ennuis commencent, le nuage très épais est chargé de glace, le moteur droit réduit brutalement (signe caractéristique d'un givrage du carburateur). Vite il faut retrouver le ciel clair. Je bascule l'avion à gauche pour sortir du nuage. J'annonce mes problèmes à Oran-Radar.

Brocard est très actif, il envoie de longues injections d'alcool au carbu et sur les hélices, mais il faut d'abord que la glace qui obture tous les filtres disparaisse avant d'espérer relancer le moteur.

Tout le monde est très calme, compte tenu des circonstances... Nous sortons en ciel clair, le moteur tousse 2 ou 3 fois et consent à repartir.

La glace part en grands lambeaux du nez et des ailes.

- « Oran, c'est O.K., on y retourne, instructions ? »

- « Rengaine Noir, continuez virage par la gauche. Vous avez l'écho à votre gauche pour 15 nautiques »

Nous entrons à nouveau dans le nuage et 30 secondes plus tard, nouvelle chute de pression d'admission sur le moteur droit. Je dégage brutalement, la mort dans l'âme. Oran Radar me console en me signalant qu'il a perdu l'écho hostile sur son scope. Je dispose donc d'un peu plus de temps pour réfléchir et trouver une solution.

- « Oran de Rengaine Noir, quelle est ma position par rapport à Oran ? »

- « Rengaine Noir, 36 nautiques dans le 230 »

Coup d'œil sur ma carte. Je survole les monts de Tlemcen qui culminent à 1.576 m. C'est mal pavé ! Je ressors de ce maudit cumulus et le moteur repart. Si l'autre avion vole dans ce coton, c'est qu'il est mieux paré que nous, en moyens de dégivrage ou bien son altitude est différente de la nôtre. Dans un nuage, les conditions varient selon la tranche d'altitude.

Je décide de descendre à 1.750 mètres. J'évolue en ciel clair en attendant qu'Oran retrouve la piste. Brocard manœuvre les volets de radiateurs d'huile, injecte de l'alcool...

- « Rengaine Noir contact repris, l'hostile est 15 nautiques de votre position prenez Cap 220 »

- « Oran reçu ».

- « Rengaine Noir virez doucement au cap 180, l'hostile défilera de droite à gauche »

J'ai augmenté la vitesse, on pénètre dans les nuages. Je retiens mon souffle. Je ne suis pas le seul ! Volant 300 m plus bas les moteurs ont l'air de tenir.

- « Rengaine Noir attention, hostile 7 nautiques, vous êtes en cap collision »

Aimé hurle pour couvrir la voix du contrôleur et annonce :

- « Contact Judy (3) à 6 nautique 5 »

À partir de là, ses directives vont être ininterrompues et la rapidité d'exécution des manœuvres conditionnera le succès de l'interception.

- « Ouvres à droite de 20° »

- « Stable »

- « 4 nautiques, 20° droite, il va croiser tout près »

- « Très légèrement au dessus, descends, 3 nautiques »

- « À gauche sec 30°, 2 nautiques »

Je suis à 1.700 m, vitesse 170 kt. Je sais que les crêtes sont à moins de 150 mètres en dessous.

- « Réduits, 1 nautique, il va passer juste sur nous »

Je suis complètement penché en avant pour essayer de percer ces nuages. Je ne vais pas le voir !

- « 800 mètres »

- « 400 mètres »

- « Contact perdu, il est trop près »

Je viens de voir une masse noire énorme à 30 m presque au-dessus de moi avec deux flammes sortant des collecteurs de pipes d'échappement.

Araisonnement 3
Infographie J. Houben

Il ne faut pas le perdre de vue. Je vire très sec à gauche et dessous, les yeux rivés à ces deux lueurs. Notre Flamant pèse soudain très lourd du nez, sous l'accélération mais aussi parce qu'Aimé et les deux contrôleurs se sont précipités dans mon dos pour voir.

Je le tiens, je suis juste sous lui, 20 m derrière, malgré les nuages, je reconnais un Dakota tous feux éteints lui aussi.

Je renseigne Oran que j'avais un peu oublié depuis le "Contact Judy".

Je m'écarte un peu à droite et monte lentement à sa hauteur. J'ai tout mon temps maintenant. Brocard allumera le phare gauche à mon ordre. L'intrus va avoir une belle surprise...

- « Phare ! »

Le Dak fait quelques soubresauts désordonnés. Je vois des têtes collées aux hublots et au poste de pilotage. L'avion est couleur kaki sombre sans aucune marque distinctive telle que cocarde, lettre, ou numéro. Je l'interroge sur la fréquence 119,7 mégahertz :

- « Dakota intercepté, au cap 090, annoncez indicatif et provenance »

Il ne répond pas. Je renouvelle le message en langue anglaise sans succès.

- « Oran de Rengaine Noir, cap et distance vers vous ? »

- « Rengaine Noir cap 070° distance 34 »

- « Dakota de Rengaine Noir prenez par la gauche cap 070° je reste en patrouille serrée sur vous pour atterrissage à Oran »

(Je répète le message en langue anglaise)

- « Si l'avion ne suit pas mes instructions, je demande autorisation d'effectuer un tir de semonce ! »

L'avion obtempère sans répondre. Petite déception dans notre avion, un tir de roquettes de nuit est toujours impressionnant !

Les quinze minutes suivantes, l'avion exécute tous les ordres : mise en descente, percée dirigée par l'approche d'Oran. J'ai le dos mouillé et ma main gauche est toujours crispée sur les manettes de gaz.
À 500 m d'altitude, nous sortons des nuages et je peux m'écarter un peu et l'observer à loisir. Qui peut-il être ? Nous allons bientôt le savoir !

Au sol un comité d'accueil doit déjà être en place. Longue approche face à la piste d'atterrissage, il sort son train, je sors le mien et maintiens à une centaine de mètres en arrière (juste au cas où il déciderait de remettre les gaz et tenter de s'échapper). Crainte vaine, il touche des roues, réduit et roule sur la piste. Je remets les gaz à fond, virage cabré pour passer vent arrière. Dernier virage, circuit très court, atterrissage, reverse sur les hélices, freins, je dégage la 1ère bretelle vers le taxiway.

Je ne veux pas être en retard au parking pour voir enfin la tête de mes intrus. J'étouffe les moteurs, coupe tous les contacts, arrête le chrono. Nous avons fait 1 H 40 de vol.

Ils sont très entourés quand nous arrivons. Nous remarquons bien les sourires un peu figés. Mon ami C..., chef contrôleur, vient à notre rencontre

- « Bravo les mecs, belle démo »

- « Quelle bande de cons ! »

(On ne saura jamais à qui était attribué ce qualificatif peu flatteur, aux états-majors, aux différents ministères, aux patrons de l'équipage du Dakota ?).

Eh oui, apprenez que l'avion et l'équipage arraisonnés sont français.

Ils appartiennent à l'escadrille spéciale du SDECE. Habitués aux missions secrètes, leurs équipages sont les meilleurs et sont passés maîtres dans ce genre de sport. Dans ce cas précis, ils effectuaient, sur renseignements, depuis plusieurs mois des missions d'écoute tout près de la frontière marocaine, à basse altitude, pour ne pas être détectés.

Ceci explique leur mutisme de tout à l'heure. Ils ne voulaient pas compromettre les missions futures.

Nous ne sûmes jamais ce que furent les explications entre grands chefs mais il y eu quand même des aspects positifs de cette mission.

Deux ans plus tard, les MD-315R étaient progressivement remplacés par des Meteor et des B-26 Invader. Avec ces matériels, les interceptions ne risquaient plus d'être compromises par un phénomène de givrage.

Les équipages de SDECE savaient à présent qu'ils n'étaient plus invulnérables et prirent l'habitude au cours de missions d'entraînement en France, de nous demander de fournir des chasseurs de nuit pour matérialiser la menace aérienne. Pour nous sur Vautour II N, ces missions furent passionnantes et réalistes.

Araisonnement 2
Les 3 appareils ayant été utilisés par l'ECN 1/71 : 
Meteor, B-26N et Flamant, tous équipés du radar AI Mk X

Sur mon carnet de vol, une seule ligne résume cette aventure :

- 17.12.58 -  M.D. 315 n° 16 
- 1 h 40 de nuit dont 0 h 45 de nuages
- Mission "Dati 414"
- Observations : 1 C-47 intercepté
- 88ème mission de guerre n°2


Frédéric BELLET

 

Araisonnement 4
L'auteur, alors qu'il commandait l'EC 2/4 "La Fayette" à Luxeuil

 

(1) Scramble : expression anglaise signifiant « Lâchez tout », passée en mot code OTAN pour : mise en route, décollage sur alerte.

(2) La position des avions est donnée en code horaire, ex. :

- un avion à midi est droit devant vous,
- un à 3 heures est droite,
- un à 6 heures plein arrière, etc.

(3) Judy : mot code pour contact franc, interception prise en compte par l'équipage.

Date de dernière mise à jour : 07/04/2020

Commentaires

  • Alex Crawford
    • 1. Alex Crawford Le 23/08/2020
    Hi,
    A very interesting story. I am writing a book on the various countries that used the Meteors on combat operations. I am trying to find out about the use of the NF.11 by the French Air Force over Algeria. I believe the aircraft were used by Escadre Chasse de Nuit 1/71 from several airfields in Algeria. Would you know where I can find further details of their use? Any help would be appreciated.
    Thank you.
    Alex Crawford
  • Marc Chiabaud
    • 2. Marc Chiabaud Le 13/07/2020
    Bonjour,

    Merci pour ce récit captivant et précis d’un aspect peu connu des opérations aériennes durant la guerre d’Algérie.

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