À 107 dans un C-47

En ce mois de Février 1978, la guerre n'est pas déclarée au Tchad, elle n'a pas de nom mais elle est bien là. 

En 24 h, l'Escadrille tchadienne, dont le personnel comporte une proportion importante de coopérants français, a perdu deux avions. Bardaï, la ville la plus au nord, est tombée après plusieurs jours de combat, le fort de Zouar, indéfendable, a été évacué et la ville de Faya-Largeau, principale cité au pied du Tibesti, est encerclée.

Les avions font des rotations pour évacuer ce qui peut l'être. Le dernier DC-4 s'est posé, le dernier C-47 arrive maintenant et c'est notre SLt qui le pilote. Il nous arrive d'Avord où il était moniteur, il lui reste de sa fonction précédente un sens de la rigueur qui est très rare sous ces latitudes.  Lui fait des circuits de piste à angle droit et souvent au chrono alors que les autres font du grand n'importe quoi de préférence au reste en ajoutant pour la cravate quelques manœuvres dangereuses et inutiles.

Je sors du bureau des OPS comme son Dak arrive au parking et je l'attends. Garé sur le trait, bruits familiers de la culbuterie du moteur Pratt & Witney que l'on stoppe, giclée d'essence du remplissage des cuves des carburateurs. Un pistard ouvre la porte et place l'échelle et il descend le premier. Il ne porte pas la combinaison de vol mais la tenue tergal chemisette pantalon et la casquette avec le jonc tendu. Il faut dire qu'il est un rondouillet, les Tchadiens le surnomme "le court" : le même volume sur un corps plus grand serait plus harmonieux !

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C-47 "Dakota" armée tchadienne

Derrière lui, sur le plateau de la porte, une dizaine de femmes africaines simplement mises, des tongs, un pagne, un tee-shirt, le châle qui tient le bébé contre le dos de sa mère, le fichu qui portera tout à l'heure le koumam, cette  bassine émaillée serrée dans un torchon noué et qui contient toute la fortune de la famille.

Elles descendent à leur tour, puis s'ouvre la porte des toilettes et en voici 4 autres puis toutes celles qui ont voyagé debout en se tenant au câble de parachutage puis les 27 qui ont occupé les banquettes troupe et enfin les 6 qui ont pris place dans le couloir du poste équipage.

Elles sont très calmes, sereines, juste quelques murmures dans une langue qui n'est pas la nôtre. Elles passent près de lui et le touchent de la main, en Afrique, on ne s'embrasse pas, ce n'est pas la coutume.

Le Slt, fier de son coup, en a compté 52. Et là, on s'aperçoit qu'il n'a pas compté les bébés ! Chacune un, soit : 52 femmes, 52 bébés, 3 membres d'équipage, au total : 107 !

Et le poids ? Pour décoller un C-47 lourd, aucun problème mais pour faire monter un C-47 lourd, tu peux toujours courir, rien à faire, il n'a pas dû voler bien haut…

N'empêche, j'admire l'exploit, bluffé et je n'ose pas me demander si j'aurais eu assez de culot pour en faire autant .

Nota : places passagers sur C47 :
- 24 en normal,
- 27 sur ordre.

 

Pierre NIGAY

 

(1) Il s'agit du Slt Jean-Michel Lambert

Date de dernière mise à jour : 02/04/2020

Commentaires

  • Maréchal
    • 1. Maréchal Le 26/08/2021
    Impressionnant, anecdote peu connue que nous ignorions alors que quelques jours plus tard nous "foncions" sur le Tchad pour stopper l'avance des "rebelles / Libyens / Cubains"…
    Cet événement mériterait une diffusion beaucoup plus large, que dis-je, cet exploit.
  • Bernard Gaudineau
    Pierre, c'est effectivement un beau record !
    Amitiés GB

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