Un pilote bien nez

Ou ‟Bon nez, longtemps se souvient ‟ (proverbe qui pourrait être chinois)

Lorsque Dieu lança sur terre la race humaine, il équipa en série cette nouvelle gamme d’êtres humains de toutes les options possibles. C’est ainsi que l’homme fut doté des 5 sens : La Vue, l’Ouïe, le Toucher, le Goût et l’Odorat.

Quelques temps plus tard, ayant revêtu la tenue d’Allah pour une inspection dans la région d’Hassi Messaoud, il dit en pensant aux hommes : 

- « Ils ont li sens, mais pas di z’ailes »

En disant cela, Dieu savait bien qu’un jour viendrait où le monde aurait besoin de pilotes de transport militaire et, que ces 5 sens leur seraient particulièrement utiles au cours de leur carrière.

Il ne s’était pas trompé car, si la Vue permet au pilote de transport d’apprécier, entre-autre, la silhouette de la Miss, l’Ouïe lui sert à détecter avec l’aide du mécano, tous les bruits incongrus tels que bougies défectueuses ou désynchronisation des moteurs, mais aussi, en appuyant fortement les écouteurs sur les oreilles, à décoder les consignes et instructions transmises en anglais par l’opérateur d’une tour de contrôle exotique.

Le Toucher l’aide à déterminer s’il vient de réussir un atterrissage aussi doux ‟qu’un pêt glissant sur une toile cirée‟ ou, s’il ferait mieux de concourir dans les prochains Jeux Olympiques dans la discipline du Triple saut, ce qui lui permettrait d’avoir l’occasion de Toucher 3 fois la piste.

Le goût lui sert à savourer les délicieux ‟Jambon-beurre‟, accompagnés de Kronenbourg, présenté par la Miss dont il a apprécié la silhouette lors de la signature du manifeste.

Eh bien me direz-vous ! Cela ne fait que 4 sens ! Pourquoi l’Odorat ne figure pas dans votre énoncé ? Serait-ce un sens interdit ? Point du tout. Et voici ma réponse : c’est que l’Odorat lui sert non seulement pendant toute sa carrière de pilote, mais bien au-delà pour raviver des souvenirs et faire resurgir les images du passé.

En ce qui me concerne, certaines odeurs me rappellent un type d’avion, un membre d’équipage ou un genre de mission.

Par exemple, à l’odeur d’un sac en toile de jute, je revois la carlingue du JU-52 et les sacs de paddy que nous allions larguer en drop, sur les postes du Tonkin.

Lors de la révision de ma voiture chez le concessionnaire, en détectant l’odeur de la graisse sortant d’une pompe Técalémit, je me revois en train d’essuyer le pare-brise du JU-52, rendu opaque par le surplus de graisse s’échappant des chapeaux de culbuteurs du moteur central, pendant l’approche sur la piste de Tambacounda.

Poussant mon chariot dans les allées du Supermarché, l’odeur du rayon ‟Pommes de terre, choux-fleurs‟, me ramène dans le cargo du Nord 2501, en route vers Agadès ou, dans le Dakota en mission ravitaillement Béchar – Tabelbala – Tinfouchy – Tindouf.

Le cuir et la sueur me remémorent les rangers et treillis des marsouins parachutistes, lors des séances ‟premiers sauts‟ à Vannes-Meucon (odeur caractéristique du cuir, de la sueur … et de la peur).

Si à cette odeur de sueur s’ajoute un petit relent de vomi (excusez-moi, mais ça arrive dans les couloirs du métro), je me retrouve en place avant d’un T-6, en plein mois d’août 1945, dans les abords du terrain de Gunther Field (Alabama), en train de démontrer à mon moniteur américain que les French cadets sont capables d’effectuer des ‟Lazzy eight et tonneaux‟ aussi mal que les cadets Yankees.

Je pense que les brevetés de Marrakech ont détecté les mêmes effluves en ajustant le laryngophone ou le micro, avant de demander l’autorisation de rouler.

Sortant du métro et arrivant à l’air libre, j’aperçois quelques volutes de fumée bleue derrière la tête d’un individu qui me précède. Hum ! Mais c’est de l’Amsterdamer ou peut-être du Clipper ? Et, miracle, je suis dans le spacieux poste de pilotage du Breguet 761S ‟Papa Bravo‟, au travers d’Adrar, en descente vers Reggane ; quelqu’un me tape sur l’épaule, je me retourne et vois Ploix, le radio avec son éternel brûle-gueule à la bouche qui me tend un papier : ‟Reggane, ciel clair, vent 040/16 kt, léger vent de sable …‟

En complétant le niveau du réservoir de frein de mon carrosse, je retrouve l’odeur légèrement poivrée du liquide hydraulique qui régnait dans le cockpit du C-47 Dakota ou du B-26 Invader et qui était due à un petit suintement du côté de la pompe à main ou, au chiffon qui avait servi à éponger le trop-plein.

Lors d’une visite à la clinique, en arpentant les couloirs à la recherche de l’ami hospitalisé, je passe devant la salle des pansements d’où une odeur d’éther me fait penser aux malheureux gus, couchés sur des brancards lors d’une Evasan entre Mécheria et Alger.

Une giclée de bombe insecticide pour chasser la guêpe menaçante et me voilà entre Saint-Louis et Richard Toll ou Podor, en mission saupoudrage de lutte anti-acridienne.

Je m’arrête là car si le nez me manque pour égrener d’autres souvenirs, une bonne odeur en provenance de la cuisine me fait penser qu’il est l’heure de passer à table.

Bon appétit


Roger BONHOMME, un pilote bien nez !

PS
J’ai omis volontairement de mentionner certaines odeurs, extrêmement variées et plus ou moins persistantes qui surgissaient après quelques repas pris au Bordj d’Aïoun El Atrouss ou à celui de Bir Mogrhein (Fort Trinquet) lorsque le popotier ne disposait plus que de boîtes de ‟Pilchards sauce tomate‟, ‟Pâté Hénaff‟ ou ‟Cassoulet-saucisses‟ pour calmer nos appétits. Les dispensateurs de ces parfums, gardant des visages d’une parfaite innocence et, le bruit des moteurs ne permettant pas la détection sonore, ces odeurs ne déclenchent aucune réaction visuelle dans ma mémoire.

Date de dernière mise à jour : 07/04/2020

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